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crainte à l’avenir, ni par esprit pédagogique, pour le corriger de son vice : ce sont là des idées modernes ; c’est pour rendre le mal au mal, sans calcul, sans réflexion. Le sentiment de la justice et l’idée du châtiment éclatent tout à coup et ensemble ; c’est peut-être le premier dégagement, la première apparition claire et distincte qui se fasse dans l’esprit humain de l’idée du juste et de l’injuste. Il y a plus : le châtiment suppose la responsabilité ; la responsabilité suppose la liberté. C’est donc aussi le dogme du libre arbitre qui se révèle ainsi dans ce fait, le plus simple, le plus primitif, le plus commun qu’il soit possible d’imaginer. Ce dogme se montre, il est vrai, avec plus de clarté, dans une société plus avancée, par la réaction de la volonté sur elle-même, par l’empire de l’âme sur les passions, par le sacrifice de soi : là est son triomphe ; mais il n’en est pas moins impliqué tout entier dans ce premier soulèvement de la conscience qui, sous le coup de l’injustice, se réalise aussitôt par le châtiment, qu’il soit spontanément infligé par le fort, ou réclamé d’un pouvoir supérieur par le faible.

Si donc on pouvait assister aux premiers efforts d’un troupeau humain entièrement dégradé jusqu’à l’état de nature, et cherchant à remonter vers l’état de société, on verrait le droit criminel s’y former peu à peu, à partir de ce premier élément brut de la vengeance individuelle, et s’élever de là, par une lente ascension, vers l’organisation d’une justice supérieure et impartiale. Sans doute l’histoire ne nous dit rien d’authentique de cet état de dégradation complète qui n’a probablement existé nulle part ; ce n’est que dans l’état sauvage et dans la barbarie qui s’en rapprochent, quoique de bien loin encore, qu’on peut suivre jusqu’à un certain point la trace de ce droit criminel pris à la source la plus éloignée, et de ses premiers développemens ; c’en est assez cependant pour en faire, comme question d’origine, un objet d’étude de la plus haute importance. Les questions d’origine étant, pour la recherche philosophique, les plus attachantes et les plus instructives, parce qu’elles étudient l’homme se débrouillant, sortant du vague de ses premières pensées, exerçant sa force vitale, et s’agrandissant dans la nature, nous extrairons du livre de M. Albert du Boys, où nous trouvons beaucoup de rapprochemens des législations les plus diverses, quelques faits et quelques idées qui témoignent de ces commencemens grossiers du droit criminel chez les peuples modernes au sortir de leur époque barbare.

Ce qui nous est resté de leurs législations élémentaires et des traditions qui suppléent aux lois en manifestant les coutumes conserve encore de nombreuses attestations du droit de vengeance personnelle, droit originel et absolu, que les juridictions ne font que modifier d’abord et ne suppriment que fort tard. « Si un homme en tue un autre, et que l’héritier de la victime, arrivant sur ces entrefaites, attaque le meurtrier et l’étende gisant à côté de la victime, il n’y aura là qu’un homme gisant à côté d’un autre homme ; » c’est une disposition des lois de l’Ost-Gothland. « Si un homme a été blessé, disent les Gragas islandaises, il peut se venger, jusqu’à la prochaine assemblée générale, de celui qui lui a fait cette blessure. » Mais il ne fallait pas attendre l’assemblée pour punir sur place et par la mort certaines insultes qui exprimaient des vices lâches et infâmes. « L’homicide pour ce fait est permis, dit la loi, aussi longtemps que pour l’attentat à l’honneur des