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églises et dans les écoles, et l’étrange motif qu’on invoque est que le pays est d’origine germanique, qu’il faut remplacer la barbarie polonaise par la civilisation allemande, la seule bonne et salutaire. D’année en année, les Polonais du duché ont renouvelé leurs protestations et leurs pétitions ; ils n’ont vraiment pas été heureux, leurs plaintes ont été éconduites. Il n’y a pas longtemps encore, dans la chambre des représentans de Berlin, les députés de Posen ont réclamé de nouveau contre la suppression systématique de la langue polonaise dans leur pays, et ils n’ont pas manqué de faits pour appuyer leurs protestations. Ils ont montré que les publications officielles ne se font que dans la langue allemande, absolument inintelligible pour la majorité des habitans ; que l’usage de la langue nationale dans les relations publiques est de plus en plus restreint ; que l’établissement d’un gymnase polonais, déjà décrété, a été empêché et indéfiniment ajourné ; que, dans les institutions de jeunes filles, les autorités ont prescrit de remplacer l’enseignement de l’histoire de la Pologne par celui de la langue allemande ; que les Polonais ne peuvent se servir de leur propre langue devant les tribunaux, dont les membres refusent de les entendre, de telle sorte qu’ils ont besoin d’interprètes quand ils comparaissent devant les juges. C’est là pourtant une nationalité à laquelle les traités ont reconnu le droit de vivre.

Le Danemark procède-t-il de même à l’égard du Holstein ? Ici au contraire on n’aperçoit nulle trace de l’intention de dénationaliser les Holsteinois. D’après la constitution même de la monarchie danoise, les représentans du Holstein-Lauenbourg à l’assemblée commune législative peuvent employer à leur gré la langue allemande. Tout ce qui touche aux relations des duchés avec la confédération germanique est hors des attributions de cette assemblée. Le Holstein a un ministère à part qui emploie exclusivement la langue allemande, seule langue en usage dans les tribunaux, dans les églises et les écoles du pays. Tous les fonctionnaires publics sont Holsteinois, et la plupart sont même encore ceux qui ont été mêlés à l’insurrection de 1848 contre le Danemark. D’après cela, n’est-on pas singulièrement frappé de la conduite de la Prusse, qui chez elle met un si grand zèle à dénationaliser le duché de Posen, et qui à l’égard du Danemark soulève les duchés, soutient leur opposition sous prétexte de protéger les droits de la nationalité holsteinoise, qui ne sont nullement menacés ? Ces enchevêtremens de nationalités diverses produisent d’ailleurs parfois d’étranges anomalies. On vient de le voir dans la dernière guerre. Le Danemark par lui-même nourrissait de franches sympathies pour la France, et cependant, comme membre de la confédération germanique pour le Holstein, il a été obligé de mettre en état de guerre des contingens qui ont été exposés à combattre la France. Bien mieux : qui paiera aujourd’hui les frais de ces armemens inutiles ? Le trésor particulier du Holstein ne pourrait y suffire, et ce sera le trésor de la monarchie qui sera forcé de couvrir, au moins pour le moment, des dépenses dont le peuple danois désavoue l’objet dans sa conscience. Quoi qu’il en soit, le Danemark est aujourd’hui le premier intéressé à mettre enfin un terme à ce vieux différend qui pèse sur sa politique intérieure et extérieure, et qui offre aux passions germaniques un prétexte incessant d’immixtion dans ses affaires. Si la dernière guerre se fût agrandie, la question des duchés eût été sans doute un des élémens de la querelle européenne ; elle reste aujour-