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grandes puissances gardiennes de l’équilibre l’accès des affaires italiennes, et porte naturellement au ressort du tribunal européen le plus élevé le règlement des destinées de l’Italie. De là la pensée d’une conférence européenne ou d’un congrès qui vient aujourd’hui à l’esprit de tout le monde. De là l’invitation adressée au cabinet anglais par notre ministre des affaires étrangères dans la note dont lord John Russell a lu quelques fragmens significatifs l’autre jour. L’on sent en France qu’une fois notre querelle particulière avec l’Autriche définitivement réglée à Zurich, il importe à l’Italie et au repos du monde qu’un arbitrage européen prononce sur le sort de l’Italie centrale dans le sens le plus équitable et le plus favorable à la liberté et aux progrès des populations. Un congrès serait surtout dans les vœux de l’Italie. Il serait pour la Sardaigne un puissant recours ; il serait pour les populations de l’Italie centrale un tribunal impartial et efficace. Dans les querelles entre les peuples et les gouvernemens, quand la force vient à manquer à ceux-ci, il faut bien qu’ils cèdent ; une conférence qui proclamerait le principe de non-intervention et qui enlèverait tout espoir d’appui étranger aux gouvernemens de l’Italie centrale aurait seule l’autorité morale suffisante pour obtenir d’eux une abdication nécessaire, et pour réorganiser soit avec des élémens nouveaux, soit par des transactions ménagées entre les peuples et les princes, des gouvernemens populaires, vivaces et forts. Comme exemple d’une transaction de ce genre, nous signalerons ce qui serait possible en Toscane. La Toscane n’est allée jusqu’à l’annexion avec le Piémont que par l’effet d’une réaction naturelle contre l’éventualité de la restauration de l’ancienne dynastie posée dans le traité de Villafranca. La Toscane, nous en sommes assurés par des témoignages dignes de foi, aurait accepté volontiers le gouvernement de Mme la duchesse de Parme, qui a un instant miroité à l’état de projet dans le fameux petit morceau de papier dont nous avons raconté l’histoire ; mais qui pourrait aujourd’hui rendre un tel compromis praticable, si ce n’est une conférence européenne ?

Un doute malheureusement paraît exister sur la possibilité même de réunir une conférence dans les circonstances présentes. L’on dit que l’Autriche, par un dépit qui continue la longue série de ses maladresses, ne veut point introduire dans les affaires italiennes l’action collective de l’Europe, et repousse toute idée de congrès. Nous ne pensons pas que les répugnances de l’Autriche pussent tenir contre la volonté bien arrêtée des quatre autres puissances, car sa résistance la condamnerait à l’isolement le moins honorable et le plus périlleux. Il est probable que la Russie au contraire désire très sincèrement la réunion d’une conférence, et que la Prusse, qui est toujours en éveil lorsque sa qualité de grande puissance est mise en question, ne se ferait pas trop prier pour prendre part à une délibération européenne. C’est le concours de l’Angleterre qui, après celui de l’Autriche, nous paraît être le plus difficile à obtenir. Les congrès sont devenus depuis quelque temps fort impopulaires chez nos voisins. Le parti libéral avancé, qui représente aussi l’esprit commerçant des classes moyennes, veut autant que possible restreindre les engagemens de la politique anglaise, croyant diminuer par là les chances pour l’Angleterre d’être compromise dans les luttes continentales qui lui ont autrefois coûté si cher, et dont les intérêts du