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motifs. Il a allégué que ses alliés naturels lui proposaient des conditions plus dures que celles qui lui étaient accordées par son ennemi vainqueur, et cette déclaration a soulevé en Allemagne une vive controverse, qui, amenant les cabinets de Berlin et de Vienne à rendre publiques leurs communications récentes, a jeté quelques lumières sur les circonstances diplomatiques au milieu desquelles le désir de la paix s’est emparé des souverains belligérans. Ces débats curieux et instructifs n’étaient point pourtant le principal intérêt du moment. L’on se demandait si l’arrangement de Villafranca serait accepté tel quel dans la portion de l’Italie, l’Italie centrale, dont les préliminaires ont semblé vouloir régler la condition dans des termes qui paraissent peu conformes aux dispositions actuellement connues des populations ; l’on se demandait surtout si, pour assurer au moins quelque durée à l’état nouveau de l’Italie, l’Europe entière consentirait à sanctionner par une délibération collective des grandes puissances la constitution qu’il s’agit de donner à la péninsule. Sur ce point, l’opinion et les déterminations de l’Angleterre devaient être d’une grande importance ; mais une émotion étrange, éclatant à l’improviste, comme tout ce qui arrive dans cette bienheureuse année 1859, envahit tout à coup l’opinion anglaise et se communique à la France. L’Angleterre, au moment où la paix se conclut, s’alarme de l’insuffisance de ses défenses, se croit menacée par le développement de la puissance militaire et maritime de la France, et s’exhorte, par l’organe de ses orateurs et de ses journaux, à faire sur une échelle considérable des armemens défensifs. La croisade des préparatifs anglais offense chez nous quelques esprits peu éclairés ; le Moniteur lui-même la dénonce, non sans aigreur, et toute une presse dépouillée d’initiative propre, platement routinière, essaie de ranimer, les vieilles rivalités. L’on redoutait qu’une nouvelle complication, la plus grave de toutes, ne vint s’ajouter aux inextricables difficultés que la guerre d’Italie suivant les uns, la paix suivant les autres, nous ont léguées, lorsque, le Moniteur, cette fois mieux inspiré, nous a annoncé que l’empereur avait décidé le prompt rétablissement du pied de paix dans notre armée et notre marine. C’est donc dans un milieu moralement fort troublé encore que nous avons d’abord à juger les arrangemens de Villafranca, et que nous devrons ensuite assister à la réalisation du nouveau régime préparé à l’Italie. Nous venons d’indiquer les principaux élémens de ce milieu ; nous allons les étudier de plus près et essayer en même temps de découvrir les devoirs que l’exécution du traité de Villafranca impose à l’opinion libérale en Italie et en Europe.

Nous ne pouvions avoir, quant à nous, aucune hésitation à nous féliciter du rétablissement de la paix, considérée comme un fait général. Non-seulement l’état de paix nous paraît en lui-même préférable à l’état de guerre, mais nous pensions que la France, retournant à la liberté et exerçant dans la paix la féconde propagande de l’exemple, pouvait faire pour l’affranchissement de l’Italie une œuvre plus vraie, plus solide et plus durable que celle qu’on la provoquait à tenter par la simple initiative du pouvoir et par la force des armes. L’œuvre de la dernière guerre ne pouvait être pour nous une déception, car nous avions prévu les difficultés morales que cette guerre devait soulever et les contradictions qui devaient en marquer le dénoû-