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à se parer, farder, entre quatre miroirs. Trois fois par jour il va admirer le bel ami à la tête des troupes. Pour comble, celui-ci est blessé. C’est une égratignure, n’importe. Monsieur en perd l’esprit. De retour à Villers-Cotterets, ne pouvant parler d’autre chose, il se confie, à qui ? à Madame, lui explique les qualités du chevalier, la fait juge d’un si grand mérite.

Il n’y eut jamais chose plus étrange. Sans honte ni respect humain, le chevalier s’établit au Palais-Royal, ordonna, régla tout. Il transforma Monsieur, et le rendit très violent. Lui-même, depuis trois ou quatre ans, il était quasi marié avec une fille d’honneur de Madame ; mais il rompit avec éclat et la fit chasser par Monsieur, qui ne daigna pas même en parler à sa femme. Monsieur lui enleva encore son aumônier Cosnac, et le fit exiler. Ces coups d’état montrèrent ce que pouvait le chevalier, terrifièrent le palais, et Madame fut abandonnée, même de ses serviteurs personnels. Son écuyer, son capitaine des gardes, son maître d’hôtel, devinrent les agens dévoués du favori, et elle n’eut plus en eux que des espions.

Cette histoire d’Héliogabale en plein christianisme et dans ce siècle lumineux, comment s’arrangeait-elle avec le confessionnal ? Le roi communiait aux grandes fêtes devant la foule, et aurait trouvé fort mauvais que Monsieur s’abstînt, ou Madame. Son confesseur, à elle, était un moine, un rustre, un capucin, qui ne la gênait guère, et dont la belle barbe figurait bien dans son carrosse pour imposer au peuple. Monsieur en avait un bien plus commode encore, le doux père Zoccoli, basse et plate punaise italienne, qui devint le complaisant, l’agent, le valet du favori. Cela révéla le progrès qu’on avait fait en douze ans depuis les Provinciales. Ce qui eût gêné Escobar n’embarrassa plus Zoccoli.

Quand on chassa la fille d’honneur (mai 1668), Madame craignit que le chevalier, à qui Monsieur disait tout, n’eût écrit à sa maîtresse les dangereux secrets que leur confiait Charles II. Elle arrêta, ouvrit la cassette de cette fille, en tira quelques lettres. La cabale prit peur. Madame vit venir le bon jésuite, qui, les larmes aux yeux, prêchait la paix, vantait la paix. Il eût voulu escamoter les lettres ; mais Madame ne les avait plus : elle les avait mises en lieu de sûreté, dans la poche de Cosnac, qui partait pour son diocèse. Madame voyait bien une chose, c’est que le chevalier au fond n’avait rien à craindre du roi. Le roi avait toujours trouvé très bon que Monsieur fût ridicule. Elle sentit qu’en cette lutte elle ne reprendrait le roi que par les affaires d’Angleterre, par son frère Charles II.

Celui-ci lui écrit (c’est-à-dire lui répond) le 8 juillet 1668 que, « dans toute négociation, elle aura toujours une part qui fera voir combien il l’aime. » En août, il dit à notre ambassadeur : « Madame