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Cela coûta beaucoup à la reine-mère : elle en eut honte et remords, en rougit devant ses domestiques ; mais les dames de haute piété et de grande vertu, telles que Mme de Montausier, déclarèrent qu’elle avait bien fait, et, ce qui est plus fort, on vint à bout de faire tout approuver de la jeune reine elle-même.

Le roi ne resta pas près de sa mère ni près de La Vallière. L’attrait de Madame était grand dans les fêtes d’automne, la saison harmonique des grâces maladives. Elle était devenue enceinte l’autre année 1663 au milieu d’octobre, et elle avait accouché récemment, en juillet 1664. Cette fois encore, au même moment, presque à l’anniversaire, au milieu du même mois d’octobre, elle eut le malheur d’être enceinte, sans être remise encore, et au grand péril de sa vie. Grossesse fâcheuse en tout sens : elle allait de nouveau être souvent alitée, maigrir, pâlir et baisser près du roi. Un beau champ pour ses ennemis, pour l’intrigue de Vardes et pour l’entremetteuse Olympe ! L’année nouvelle arrivait menaçante, incertaine, et la cour doutait. Molière ne douta pas. Si prudent, il fut intrépide, se déclara, et lança Don Juan (15 février 1665).


II

Un portrait est au Louvre, un vigoureux tableau sans nom d’auteur. Il illumine la petite salle où il est comme une flamme. L’artiste, un peintre secondaire peut-être, mais ce jour-là en face d’un tel original, s’est trouvé transformé. Ce visage est celui d’un grand révélateur, et non pas moins celui d’un créateur, dont tout regard était un jet de vie.

La vigueur mâle y est incomparable, avec un grand fonds de bonté, de loyauté, d’honneur. Rien de plus franc ni de plus net. La lèvre est sensuelle et le nez un peu gros, trait bourgeois que le peintre a cru devoir ennoblir avec quelque peu de dentelle. À quoi bon ? On n’y songe pas. L’intensité de vie qui est dans cet œil noir absorbe, et l’on ne voit rien autre. On en sent la chaleur, elle brûle à dix pas.

Ce portrait de Molière est placé à merveille, tout près de celui du Puget. Ce sont les deux momens du siècle. Dans le premier (l’homme de quarante ans), c’est l’élan, le combat, mais c’est l’espoir encore. Dans le second, hélas ! bien vieux, une longue habitude de souffrir et de voir souffrir, un attendrissement maladif, ont plissé et ridé une figure trop endolorie. Est-ce un contraste avec Molière ? En celui-ci, volcan qui se dévore, la souffrance, pour être au dedans, n’est pas moins transparente. Un feu âpre en ressort qui rougit