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la trouvât jolie, et pourtant par momens il craignait qu’elle ne le fût trop et plus que lui, qu’elle ne lui enlevât ses petits amis, Guiche, Marsillac et autres. C’était là sa seule jalousie. Quand il la vit admirée, entourée, il fut ravi, pensant que sa cour deviendrait la vraie cour royale ; mais il le fut encore plus quand il vit le roi amoureux d’elle, pensant qu’elle le protégerait, que par elle il aurait ce que ses favoris voulaient et ce que refusait son frère, un apanage, comme avait eu Gaston, la royauté du Languedoc.

La joie de Monsieur fut au comble lorsqu’à Fontainebleau il vit le roi ne pouvoir plus se passer de Madame, arranger tout pour elle, chasses, bals et parties. Il pensa qu’il gouvernerait. Madame aussi n’en était pas fâchée, et laissa faire. Elle fut la déesse, l’idole du lieu. Quelle que fût la légèreté de son âge, elle réfléchissait ; sa puissance sur le roi était justement ce que sa famille avait le plus désiré, ce qui assurait Charles II sur ce trône branlant, sanglant, tout chaud de Cromwell. Elle servait son frère, le sauvait peut-être dans l’avenir. Sa mère, au couvent de Chaillot, pensait que Dieu se sert de tous moyens, et que cet entraînement du roi pourrait avoir de grandes conséquences pour la conversion de l’Angleterre et le triomphe de la religion.

Madame essaya plus tard de faire rompre son mariage ; mais je crois que du premier jour elle le trouva fort ridicule et conçut d’autres pensées. La jeune reine pouvait mourir ; quoique son gros visage d’enfant bouffi ne fût pas sans éclat, elle venait d’une race malsaine, d’un père usé (qui eut trente ou quarante bâtards), et les enfans qu’elle eut généralement ne vécurent guère. Sa survivance revenait à Madame incontestablement. Monsieur n’aurait fait nul obstacle ; il l’aurait quittée avec joie pour épouser le Languedoc et trôner là avec ses favoris.

La reine, quoique enceinte à ce moment, fut oubliée tout à fait de Louis XIV à Fontainebleau. Il s’occupa uniquement de sa belle-sœur. Cette grande forêt mystérieuse et coupée de rochers isole, permet peu l’étiquette. Leurs promenades solitaires duraient fort tard la nuit, et jusqu’au jour (en juin). Madame, obéissante, n’objectait rien, ni l’opinion, ni sa santé. Le roi n’y pensait pas. Il eut toute sa vie l’insensibilité de l’homme bien portant qui ne ménage en rien les faibles. Le bon portrait du Louvre nous le donne comme il était, jeune homme à cheveux bruns, à petites moustaches, l’air sec et positif. Il a de sa mère une délicatesse de teint très noble et peu commune, mais la lèvre autrichienne du grand mangeur, une bouche déplaisante, sensuelle et lourde, et qui accuse aussi le mépris de l’espèce humaine.

Ce que Madame avait le plus à craindre, maladive et mal mariée,