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catholique, autrement dit roi absolu. Sous le prétexte du mariage projeté de sa sœur avec Monsieur, la reine d’Angleterre alla le voir, le sommer de sa parole et le tenter par l’argent de Louis XIV. Sa mère venait le prier de rentrer dans les voies de Charles Ier, dans le chemin de l’échafaud ; mais on n’espéra le corrompre qu’en lui menant son bijou, la délicieuse Henriette : innocente Marie Stuart, dont on abusait pour la trahison !

La cour de France tentait le roi et tentait la nation. Au roi, on proposait un mariage de Portugal, énorme d’argent comptant ; à la nation, l’avantage de voler l’Espagne sur toutes les mers. Louis XIV soldait une armée anglaise, auxiliaire du Portugal, contre son beau-père, le roi d’Espagne, dont la veille il venait de presser la main.

Henriette émut fort la cour d’Angleterre. Elle avait l’attrait singulier de ceux qui ne doivent pas vivre ; elle ressemblait plus au décapité qu’à sa pétulante mère[1]. C’était l’ombre d’une ombre, comme une fleur sortie du tombeau. Sur le vaisseau même qui la ramena, de violentes passions éclatèrent. La traversée fut longue, elle fut très malade, et dangereusement, presque à mourir. L’ambassadeur Buckingham et l’amiral qui la menait se disputaient cette mourante, étaient près de tirer l’épée. Elle se remit un peu enfin, aborda, et on put la marier.

Pour cette personne si frêle, c’était un bonheur d’avoir un mari comme Monsieur, qui n’était guère un homme, qui n’aimait pas les femmes, et qui, selon toute apparence, sauverait à la sienne les fatigues de la maternité. Jusqu’à douze ou treize ans, on l’avait élevé en jupe de fille, et il avait l’air en effet d’une jolie petite Italienne. Il avait beaucoup vécu chez la Choisy, femme d’un officier de sa maison, dont le fils passa de même sa jeunesse habillé en fille, et comme telle accepté des dames, qui couchaient parfois avec elles cette poupée, sans danger pour leur sexe. Monsieur était le plastron de son frère ; le roi s’en moquait tout le jour. La reine-mère, dans leurs disputes, ne manquait pas de juger pour l’aîné et de faire fouetter l’autre. Il eut le fouet jusqu’à quinze ans. Il faut voir dans Cosnac les efforts inutiles de ce bon domestique pour en faire un homme. Il n’y réussit pas. Madame se trouva avoir une fille pour mari.

Monsieur avait vingt ans, Madame dix-sept ; mais il était resté enfant. Il passait tout le temps à se parer, à parer les filles de la reine ou ses jeunes favoris. Il reçut bien Madame, mais comme un camarade qui l’amuserait, sur qui il essaierait les modes. Il n’imaginait pas avoir à lui dire autre chose. Il la montrait, voulait qu’on

  1. Voyez le petit portrait, si pâle, de Charles Ier qui est au Louvre.