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contribué à le perdre. N’importe, sans querelle, on s’embrasse pour la dernière fois. De là notre Henriette, qui naît attendrissante d’une larme et du baiser d’adieu. La mère accouche en pleine guerre, sous le canon, dans une place assiégée, fuit avec un amant, se sauve en France. Le berceau reste en gage aux mains des puritains. Les exemples bibliques ne manquaient pas pour les meurtres d’enfans. Cependant elle vit, et à deux ans va rejoindre sa mère. C’était aller d’une révolution à une autre, du long parlement à la fronde, des batailles aux batailles, alterner les misères. La cour de France fuit à son tour, et la reine d’Angleterre est oubliée au Louvre, souvent l’hiver sans pain ni bois. L’enfant restait au lit, faute de feu. Elle avait cinq ans en 1649, quand on décapita là-bas son père. Ici sa mère, avec son bel Anglais (qu’elle épousa, dit-on), vivait fort mal : battue, pillée par lui, dès qu’il venait un peu d’argent. C’est toute la moralité que la petite eut sous les yeux.

Les trois enfans, Charles II, Jacques et Henriette, bien, plus jeune qu’eux, vivaient ensemble très unis. Le premier, qui n’eut jamais ni cœur ni âme, adorait pourtant sa petite sœur. Pour elle, elle n’aima, je crois, jamais rien que ses frères, et ne vit jamais que leur intérêt, qui fut toute sa politique, toute sa morale. Jouet du sort et des événemens, elle flottait, et n’eut guère de foi que le sentiment de famille. Elle faillit mourir un jour de la fausse nouvelle que Jacques était tué. Pour rétablir, affermir Charles II, elle eût voulu épouser le roi et donner à son frère l’appui de la France ; mais elle ne fut jamais la femme matérielle qu’il fallait à Louis XIV. Alors surtout elle était maigre ; il ne sentait pas sa grâce, ou s’il en convenait, c’était pour regarder la charmante enfant, sage et douce, comme une relique, une sainte de chapelle, ce qu’il exprimait par un mot assez sec : « J’ai peu d’appétit pour les petits os des Saints-Innocens. »

Henriette était élevée aux Visitandines de Chaillot, fondées par sa mère et dirigées par Mme de La Fayette, la divinité de Louis XIII, laquelle avait esquivé le trône de France. Cette dame, canonisée vivante, couvrait de sa sainteté un couvent très mondain, un parloir très galant, et qui de plus était un centre politique, le foyer souterrain de la révolution catholique d’Angleterre : belle expiation pour la veuve non irréprochable de Charles Ier ! L’instrument naturel de ce grand événement pouvait être la jeune Henriette, si elle épousait au moins Monsieur, frère de Louis XIV, et si elle gardait son jeune ascendant sur Charles II, qui l’avait tant aimée.

Charles II avait fait comme son grand-père maternel Henri IV. Pour régner, il fit « le saut périlleux. » Il jura tout haut la foi protestante, assurant tout bas la France et l’Espagne qu’il se referait