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cette profession, je devrais dire ce ministère éducateur, les intelligences vives et saines de la bourgeoisie pauvre et de la culture riche ?

Rien n’est plus pressant aussi qu’une réforme dans l’éducation morale, et qui peut donner cette éducation, si ce n’est la famille ? On sait dans quelle situation se trouvent la plupart des familles agricoles, on sait quels penchans funestes leur impose pour ainsi dire une vie de travail et de privation. Que n’a-t-on pas fait pour soustraire les enfans à tous les dangers qui les environnent ? On a créé des asiles, des ouvroirs, des écoles, que sais-je ? mais toutes les institutions de la charité volontaire ou légale ne feront pas refleurir dans les campagnes les délicates vertus de la famille. Le mal est plus profond et plus grave qu’on ne le pense. C’est dans le cœur même qu’il se cache, c’est du cœur qu’il faut l’arracher. Amoindrir et abaisser la domination de l’homme, représentant la force et l’intérêt matériel, agrandir et relever l’influence de la femme, représentant le sentiment et l’intérêt moral, rendre au vieillard la pitié qui est due à sa faiblesse, à l’enfant le respect qui est dû à son inexpérience, refaire avec ces familles égoïstes et violentes des familles vraiment chrétiennes, tendres et dévouées, tel est le meilleur, je dirais presque le seul moyen de moraliser les campagnes. Il ne suffit point pour accomplir ce grand ouvrage de l’habile intervention de l’instituteur ou du curé : il faut réunir dans un accord persévérant toutes les influences sociales. Si le goût de la vie champêtre s’empare de nos mœurs, le progrès moral est assuré. Les paysans ne se laissent pas entraîner par les beaux discours, mais par les bons exemples, et rien n’est plus capable de faire sur eux une impression profonde que le spectacle de la vie généralement pure et douce des familles riches et éclairées.

Ce n’est pas seulement au point de vue moral que le séjour prolongé des propriétaires à la campagne semble désirable, c’est encore au point de vue politique. Quoique l’état de l’agriculture et la condition de la population rurale relèvent moins des formes du gouvernement que de l’organisation de la société, cependant les révolutions qui livrèrent successivement la France aux principes les plus contraires ont créé des situations nouvelles.qu’il faut savoir ménager. Si la révolution de 1789 a porté la liberté dans les droits civils, la révolution de 1848 a introduit l’égalité dans les droits politiques. Le suffrage universel a donné au plus grand nombre, c’est-à-dire à la population des campagnes, la souveraineté dans sa force absolue et brutale ; mais cette souveraineté, récemment encore l’occasion des luttes les plus ardentes, est devenue tout à coup l’objet de l’indifférence générale. Habituée au silence par les traditions despotiques de l’ancien régime, la population des campagnes