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changés. Certes on pourrait souhaiter que ces logemens fussent plus salubres et plus vastes, que, pour échapper à l’impôt des portes et fenêtres, le paysan se privât moins de jour et de lumière. À mesure que l’aisance se répandra dans les campagnes, la maison champêtre prendra un moins triste aspect. C’est un instinct naturel à l’homme que d’aimer à embellir sa demeure, et cet instinct fera plus de prodiges que toutes les lois d’expropriation pour cause d’utilité publique. D’autre part, les sains et chauds vêtemens ont presque partout remplacé les peaux de bêtes et les haillons. Mieux logé, mieux vêtu, le paysan est aussi mieux nourri. Prenez et parcourez les mémoires des intendans. Au XVIIIe siècle, les paysans de la Normandie vivaient en grande partie d’avoine ; ceux du Périgord, du Limousin, de la Marche, se nourrissaient de blé noir, de raves et de châtaignes ; ceux de la Lorraine, du Forez, de l’Auvergne, mangeaient exclusivement de la chèvre salée et un brouet de blé noir ; les cultivateurs de la Beauce eux-mêmes fabriquaient leur pain avec de l’orge et du seigle mêlés. L’alimentation des classes rurales s’est améliorée par la quantité et la qualité des céréales, par une consommation plus générale de lait, d’œufs, de fromages, de lapins et de volailles, par l’usage journalier de la pomme de terre, des légumes secs et frais, des fruits de toute espèce. En 1789, pour 26 millions et demi d’habitans, la ration moyenne et annuelle de tous les Français était un hectolitre et quart de froment, un hectolitre trois quarts de seigle et autres grains, dix-huit kilos de viande ; en 1815, pour 29 millions d’habitans, elle devint d’un hectolitre et demi de froment, d’un hectolitre et demi de seigle et autres grains, de dix-huit kilos de viande ; en 1848, pour 36 millions d’habitans, elle atteignit deux hectolitres de froment, un hectolitre de seigle et autres grains, vingt-huit kilos de viande[1]. Ces calculs, très exacts tant qu’ils sont appliqués à tous les Français, cesseraient de l’être si on les restreignait rigoureusement à la population des campagnes. Aussi ne paraît-il pas possible que la ration moyenne et annuelle du paysan soit de vingt-huit kilos de viande. Si de 1789 à 1848 la population de la France a augmenté de 10 millions d’habitans, il faut rappeler que ces 10 millions d’habitans sont allés s’établir et consommer dans les villes ; or dans les villes la viande trouve par le haut prix des salaires et la tentation du bien-être d’autrui un débouché toujours facile. Ce n’est pas que l’usage de la viande ne se soit répandu dans les campagnes ; mais l’absence de boucheries champêtres et surtout le taux du salaire

  1. Voyez l’étude de M. de Lavergne sur la Révolution et l’Agriculture, livraison du 15 novembre 1858.