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laine a doublé depuis trente-cinq ans, quand on sait que les frais de culture ne sont pas plus élevés en France que chez les peuples voisins, et que les frais de transport sont le plus actif et le plus naturel des systèmes de protection, on ne voit pas ce que nos laines, nos bestiaux, nos vins, nos grains, peuvent perdre au régime de la liberté. Le marché intérieur suffit pleinement pour régler la valeur des denrées alimentaires, et l’importation libre aura pour effet de soutenir les cours plutôt que de les avilir. Pour être ménagée, la solution n’en est pas moins certaine. Un peu plus tôt ou un peu plus tard, la liberté commerciale triomphera ; elle triomphera, par cela seul qu’elle est une des idées léguées à la France par la révolution de 89. Ce sera la victoire de Turgot sur Colbert, des économistes sur les financiers, de l’esprit d’égalité de la société nouvelle sur l’esprit de privilège de l’ancien régime.

Qu’on observe maintenant l’impôt dans son caractère général avant et depuis 1789. Avant 1789, la qualité de la personne et de la terre déterminait l’obligation des uns et l’exemption des autres. L’impôt, se fondant sur l’immunité et la spoliation, dressait des catégories de privilégiés et des listes de victimes. Il tentait, malgré les cris de la justice et les prédictions de l’économie politique, de s’enrichir aux dépens des malheureux. À le voir passer dans les campagnes environne d’une armée véritable, ravissant tout ce qu’il pouvait ravir, insatiable, avide, insolent, brutal, on l’eût pris pour un de ces conquérans qui, sans s’inquiéter du lendemain, arrachent aux peuples vaincus de quoi solder le prix de la victoire. Aujourd’hui chacun paie en raison de sa fortune, et la quotité seule de cette fortune est directement atteinte ou indirectement poursuivie. Le contribuable connaît d’avance le montant, la date, le mode des droits à acquitter. Les lois d’impôt sont votées par le pays et publiées par la presse. La perception est modérée dans les frais, et par comparaison douce dans la forme. L’impôt se présente comme un simple créancier qui, le jour de l’échéance, demande à son débiteur la somme promise en vertu d’un contrat valable. Ainsi la révolution a donné aux classes agricoles la liberté et l’égalité dans le droit privé et dans le droit public. Les faits ont déjà justifié les principes de 89. Peut-être ces principes n’ont-ils pas encore reçu, notamment en matière d’impôt, le développement et l’autorité qu’exige la prospérité de la France ; mais ce que les lois ont commencé, les mœurs l’achèveront.