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producteur et de revendre à haut prix au consommateur. Qu’aurait servi au propriétaire de salines de produire une marchandise qui ne trouvait point de débouchés ? Tout le nord de l’Europe s’approvisionnait en Espagne, en Portugal, en Sicile : les gabelles avaient suspendu la production et tellement réduit la consommation intérieure, que, pour couvrir ses frais et lui assurer des bénéfices, l’état autorisa la ferme à imposer à chacun le paiement d’une certaine quantité de sel. On ne saurait pousser plus loin la violence. Aujourd’hui quiconque a obtenu une autorisation de l’état peut fabriquer et vendre son sel. L’impôt est dû au moment où le sel est enlevé des marais salans, salines ou fabriques. En outre, dans ces derniers temps, l’impôt sur le sel a été réduit des deux tiers. L’agriculture en a profité, mais moins peut-être qu’on ne l’avait espéré.

Après les gabelles les aides[1], après l’impôt sur le sel l’impôt sur les boissons. La vivacité que Boisguillebert et Letrosne mirent à critiquer les gabelles n’a été surpassée que par la violence avec laquelle ils ont combattu les aides. Tous deux se sont élevés contre la prodigieuse diversité de ces droits (on comptait vingt et un droits généraux et vingt et un droits locaux), contre l’irrégularité de l’assiette, contre les difficultés insurmontables de la perception. Tous deux ont prouvé qu’en enlevant au cultivateur les avances nécessaires à la reproduction, en imposant au marchand des frais excessifs, les aides plaçaient l’un dans la nécessité de cesser ses travaux ou de se ruiner, l’autre dans l’alternative de renoncer au commerce ou de frauder. La révolution avait supprimé les aides, mais l’empire les restaura. L’impôt sur les boissons, étant un impôt général et réglé, a remplacé avec avantage cette collection de droits divers et arbitraires qu’on avait réunis sous le nom d’aides : l’état reconnaît à chacun le,droit de libre culture ; sans crainte d’être arrachée par le caprice de quelque intendant, la vigne fleurit où l’industrie la place. Cependant l’impôt pèche encore par l’inégalité des charges qu’il fait peser sur les contribuables et par les entraves qu’il met à la circulation. Le gouvernement devrait songer sérieusement à rétablir l’égalité entre tous les consommateurs et simplifier les formes de l’administration. Il est certain que, partout où il est perçu, cet impôt augmente les frais de subsistance du cultivateur : malheureusement le cultivateur ne boit guère de vin, et s’il en boit dans les pays viticoles, il ne paie point les droits. Il serait bien mieux de vaincre les préjugés des populations viticoles et de saisir la matière imposable chez le producteur. Nous ne connaissons guère d’autre moyen

  1. Les droits très nombreux et très divers ainsi désignés se percevaient tant sur les vins vendus au détail que sur les vins entrant dans des lieux clos.