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les consommateurs, c’est-à-dire tous les Français, de satisfaire, sous peine de mourir de faim, aux exigences du gouvernement. Voilà tout. Au XVIIIe siècle comme au XIXe, l’impôt indirect augmenta les frais de production ; mais, comme les denrées se vendirent souvent au-dessous du prix de revient, l’impôt atteignit et le producteur et le consommateur : l’un, ne trouvant plus de bénéfice à produire, ne produisit plus ; l’autre, ne pouvant ni payer la marchandise à sa valeur, ni gagner de quoi payer davantage, restreignit sa consommation, tant il est vrai que le bas prix des denrées, en présence d’un impôt indirect très élevé, est le signe éclatant d’un pays appauvri ! Faut-il répéter encore que le secret de cette hausse et de cette baisse est dans la liberté de produire et de consommer ?

Deux grandes réformes, l’une dans l’assiette, l’autre dans la perception, séparent l’impôt indirect de l’ancien régime et celui du nouveau. Dans l’assiette d’abord, le privilège a disparu, privilège de personnes et de lieux. L’assiette est régulière en ce sens que tout Français paie en proportion de ce qu’il consomme. Une autre et non moins heureuse réforme a substitué la régie directe au régime de la ferme. On reproche avec raison à l’impôt indirect d’entraîner des frais considérables, de donner ouverture à la fraude : ces reproches semblent faits pour le XVIIIe siècle. Jamais la fraude ne fut mieux organisée, plus alerte, plus ingénieuse ; jamais pays ne fut dépouillé avec plus de cruauté. Cent mille hommes luttaient d’audace pour dérober à la nation un gain que cent mille fraudeurs leur disputaient. Letrosne a calculé, et ses calculs ne paraissent pas exagérés, que, pour donner sur les aides 30 millions au roi, la ferme en prélevait 45. Je laisse à penser quel préjudice était porté au développement de la richesse nationale ! Ces deux réformes accomplies, les classes rurales retrouvent aujourd’hui les gabelles dans l’impôt sur le sel, les aides dans l’impôt sur les boissons, le droit de traite dans l’octroi des villes, les douanes dans les douanes elles-mêmes : charge énorme, mais qui paraît véritablement légère si on la compare à l’écrasant fardeau du XVIIIe siècle. Mettons rapidement en présence, et seulement au point de vue agricole, les impôts indirects de l’ancien et du nouveau régime ; prenons d’abord les gabelles. Sans parler des objections que soulève l’application du sel à l’amendement des terres humides et à l’engraissement des bestiaux, il faut reconnaître que le sel est une forte dépense dans les campagnes. La haine que la culture a toujours portée à cet impôt vient de ce qu’il accroît le prix du travail en frappant tous ceux qui concourent à la production agricole. Ces inconvéniens étaient singulièrement aggravés par le régime de la ferme : la ferme avait seule le droit d’acheter, seule le droit de revendre, c’est-à-dire d’acheter à bas prix du