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adoré. Que faut-il donc pour rendre à la France l’abondance et la richesse ? La liberté, la liberté de confier l’argent à la terre, la liberté de doubler par le capital la valeur du travail. L’argent existe : ouvrons l’armoire du fermier, du petit propriétaire, nous en trouverons. On a gagné quelque chose depuis 1750 ; mais l’argent a peur : il ne sortira de sa cachette que contraint et forcé, lors de la refonte des monnaies par M. de Calonne, lors de la vente des biens nationaux. Ainsi, pour ne pas devenir pauvre, on cherche à le paraître, et l’on joue la misère pour tromper l’état. À ce jeu, tout le monde se ruine : Adam Smith a remarqué que la taille personnelle passait sur la tête du fermier pour retomber sur celle du propriétaire, car plus le fermier est obligé de payer en impôt, moins il peut payer en fermage. Ne sait-on pas cependant que, par le bon plaisir du roi, de l’intendant ou du collecteur, la taille pour chacun variait chaque année, que ces variations dans le montant de la contribution déjouaient tous les calculs du fermier et compromettaient la production ? Ne sait-on pas que cette incertitude de l’impôt rendait intolérable la condition du métayer ? Le métayer n’a qu’une portion des fruits pour faire les avances nécessaires à la culture. Si l’impôt lui enlève la plus petite somme, le travail s’arrête, et la terre reste en friche. Inique dans son assiette, arbitraire dans sa répartition, brutale dans sa perception, la taille personnelle semblait combinée pour violer à la fois les lois de la morale et de l’économie politique. Il s’en faut de beaucoup que notre contribution personnelle et mobilière soit aussi injuste et aussi funeste. La contribution personnelle est uniforme pour tous les Français, et consiste en trois journées de travail. La contribution mobilière est réglée sur la valeur locative de l’habitation. Assurément tout impôt personnel a un vice considérable, c’est de faire payer au pauvre la même somme qu’au riche, à la classe rurale, qui est la plus nombreuse, plus qu’à toute autre ; mais la contribution n’est pas lourde, et la France doit se réjouir d’être délivrée de la taille et de la capitation.

L’impôt foncier a deux effets très distincts. Directement il saisit une partie des revenus du propriétaire au profit de l’état ; indirectement il s’oppose à la formation et à l’emploi des capitaux agricoles. Dans le premier cas, l’impôt foncier semble aussi étranger au développement de la richesse nationale qu’un impôt sur les cartes à jouer. Comme il attaque la propriété et non le travail, il peut absorber en tout ou en partie la rente foncière sans que la production s’affaiblisse. Il commence à nuire au moment où il exige du capital d’exploitation ce qu’il n’a pu obtenir du capital de propriété. Tel fut précisément l’effet de la taille réelle dans certains pays d’élection. La taille réelle n’était ni fixe ni juste ; elle se promenait pour