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la postérité le voit aussi dans le règne du privilège. Après s’être emparé des terres et des personnes, le principe de l’inégalité sociale avait confisqué les impôts, et c’est en le chassant du droit public comme du droit privé que la révolution affranchit les classes agricoles.

En 1789, les impôts se divisaient en impôts directs et en impôts indirects ; les impôts directs se subdivisaient en impôts personnel et foncier. L’impôt personnel comprenait la capitation et la taille personnelle. La capitation répartissait tous les Français en vingt-deux classes, en raison de leur position sociale et non pas en raison de leurs facultés présumées. C’était affirmer contre toute vérité que l’égalité de rang entraîne l’égalité de fortune. « Comme les privilégiés se défendaient, disait Turgot, et que les taillables n’ont personne qui parle pour eux, il est arrivé que la capitation des premiers s’est réduite dans les provinces à un objet très modique, tandis que la capitation des seconds est presque égale au principal de la taille. » La capitation, il est vrai, ne recherchait point les taillables dont la cote était inférieure à quarante sous dans les pays d’élection, et à vingt sous dans les généralités de taille réelle ; mais elle atteignait les fermiers et les métayers en absorbant une partie des capitaux agricoles et en diminuant la consommation par une hausse inévitable dans les frais de production.

Ce que la capitation faisait légèrement et par contre-coup, la taille, personnelle le faisait d’une manière directe et brutale. Le roi signait le brevet : l’impôt descendait aux généralités, des généralités aux élections, des élections aux paroisses, des paroisses aux contribuables. Dans cette suite d’opérations, les taillables ou leurs représentans n’étaient jamais consultés. La force contributive des diverses circonscriptions, la situation véritable de chaque fortune ne réglait point le montant de la taille, « Ce qui fait la règle, disait le maréchal de Vauban, c’est l’envie, le support, la faveur et l’animosité. » La force suivait l’injustice. « Lorsque le collecteur marche sans huissiers, les taillables ne veulent pas payer, » écrivait un intendant en 1764, et les taillables n’étaient ni les nobles, ni les ecclésiastiques, ni les officiers des cours souveraines, ni les bourgeois des franches villes ! Que sais-je encore ? Des vices de la taille, c’étaient les moindres. Un impôt qui entretient dans les fortunes un désordre permanent et dans les esprits une irritation continuelle est coupable ; mais celui qui se nourrit du travail lui-même, celui-là est criminel. Visitons une ferme ou plutôt une métairie du XVIIIe siècle. La misère s’y étale avec complaisance : les bâtimens sont malsains et incommodes, les instrumens de culture défectueux et chers, le bétail rare et maigre. L’usage, ce dieu Terme, ce faux dieu des campagnes, est toujours