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qu’on pourrait appeler métallique. Lorsque les seigneurs réunissaient en leurs mains la police des subsistances et les faibles ressources du moyen âge, il semblait juste qu’ils se chargeassent de construire et d’entretenir des moulins, des fours, des pressoirs ; il semblait juste que, moyennant une redevance, les vassaux y fissent moudre leur blé, cuire leur pain, fabriquer leur vin et leur cidre : telle est l’origine des banalités. D’autre part, lorsque le sol et le travail personnel sont les seules sources de la richesse, ils sont nécessairement les seules sources de l’impôt : de là les prestations en travail et la corvée, les prestations en nature et la dîme. Mais au XVIIIe siècle la société se transforme, la population s’accroît, et pour la nourrir on travaille davantage. Les cultures se perfectionnent, les capitaux relèvent le prix de la main-d’œuvre, les journaliers se présentent de toutes parts pour gagner l’argent qui circule ; les mœurs, les intérêts, les besoins, tout enchaîne le sol et le travail dans des rapports nouveaux, et pourtant il faut encore se servir du four, du pressoir, du moulin seigneurial, comme si l’on ne pouvait en payer un ! Il faut, non plus par ordre du seigneur, mais par ordre exprès du roi, quitter les travaux les plus utiles et les plus pressés, pour refaire les routes, transporter les forçats dans les bagnes, les soldats malades dans les garnisons, les matériaux des édifices publics dans les villes. Il faut enfin payer la dîme, et comme la dîme se prend sur le produit brut et non sur le produit net, que le produit brut est plus considérable dans les cultures simples que dans les cultures savantes, le cultivateur n’ose pas faire des avances dans lesquelles il ne doit pas rentrer, et cherche en vain sa fortune dans une routine perpétuelle. Comprend-on maintenant comment ces droits jadis utiles et même nécessaires périrent méconnus et haïs ?


II

Nous voici très naturellement amené à considérer les classes rurales au point de vue du droit public. Les banalités, la corvée, la dîme étaient de véritables impôts, qui servaient de rouages à la grande machine financière de la royauté. Construite sans art et sans unité, de pièces et de morceaux ramassés dans les débris de la féodalité, cette machine dépensait des forces immenses dans des mouvemens désordonnés. Respecter la propriété, assurer la production, était le dernier souci d’une royauté imprévoyante, et la France, qui était arrivée à cet âge où les nations ont besoin de bien-être et de gloire, se trouvait finalement incapable de payer les frais de sa vie morale et matérielle, Turgot voyait le mal dans l’absence de constitution ;