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lombard[1], le prêt à la grosse aventure[2], le change sec[3], les ventes à réméré, les sociétés en commandite, les rentes foncières et constituées[4] avaient rendu à la circulation la plus grande partie de l’argent que les lois civiles et religieuses espéraient immobiliser. La révolution, qui venait de détruire la propriété féodale, devait reconnaître l’utilité du prêt à intérêt, libérer la terre et libérer l’argent, reprendre à la terre la valeur exagérée qui lui était assignée, restituer à l’argent la valeur réelle dont il était privé. C’est dans cette vue juste et profonde que le régime hypothécaire fut étudié et décrété. Je n’ai guère besoin de rappeler combien la publicité des hypothèques ranima la confiance et multiplia les transactions. Elle facilita les placemens sur fonds de terre, et, en attendant le crédit foncier, jeta dans les améliorations agricoles un capital considérable. Ainsi toutes les parties de la législation nouvelle atteignirent ce double but de mobiliser la propriété foncière et d’assurer aux classes rurales l’égalité et la liberté dans les relations civiles.

Peut-être s’est-on étonné de ne point voir dans ce tableau de la condition juridique des classes rurales les célèbres droits dits féodaux ; mais les droits dits féodaux qui découlent de la seigneurie ne doivent pas être confondus avec les droits vraiment féodaux qui naissent du fief. Les uns empruntent à l’impôt le caractère d’une obligation générale ; les autres ont les apparences d’une convention particulière : le droit public revendique ceux-ci, le droit privé réclame ceux-là. Fief et justice n’ont jamais rien e de commun. Dès l’origine, la royauté avait deviné qu’au fond de ces droits seigneuriaux se cachaient les prérogatives mêmes du gouvernement, et quoiqu’elle eût engagé contre le fisc seigneurial une lutte acharnée, à la veille de 89, elle n’en avait point triomphé. Je laisse de côté la chasse, la pêche, la garenne, le colombier, les péages, et tous ces droits que la force avait fondés, que les principes aristocratiques défendaient toujours, mais qui au point de vue agricole n’avaient pas l’importance des banalités, de la corvée et des dîmes. Les sociétés naissantes sont dominées par une certaine économie naturelle, qui fait place dans les sociétés plus civilisées à une économie

  1. Le roi avait accordé aux Juifs et aux Lombards dans de certaines villes le monopole du prêt à intérêt.
  2. Ce contrat consiste à prêter de l’argent sur un navire ou sur les marchandises qu’il porte.
  3. Le change sec permettait de prêter une somme d’argent remboursable au lieu où elle avait été prêtée, moyennant commission.
  4. La rente foncière était due, nous l’avons vu, au propriétaire ou seigneur du fonds, aliéné moyennant cette redevance. — La rente constituée était celle qui était créée par un simple contrat moyennant un capital en argent ou le prix d’une chose vendue, capital et prix remboursables, mais non exigibles.