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partage ; il n’est pas conservateur, car il fait de la réserve un devoir de piété, et supprime les droits d’aînesse et de masculinité, les substitutions, la distinction des biens d’après leur nature et leur origine. Tel qu’il est néanmoins, il rend fidèlement l’état transitoire de la société française ; il laisse un libre cours au jeu des intérêts privés : que lui demander de plus, et ne serait-ce pas une marque de folie, ou tout au moins d’ingratitude, que de ne se point contenter de l’accroissement prodigieux et de l’amélioration continuelle que la production agricole et la condition des classes rurales ont reçus depuis cinquante ans ?

Considérons maintenant dans quel esprit fut remaniée la matière des contrats. C’est résolument que le code civil donne le pas à la communauté sur le régime dotal, qu’il rend à la vente les allures d’un contrat naturel, qu’il abolit les retraits et limite la faculté de rachat. Voici la terre, au grand profit de l’agriculture, dégagée et lancée dans un rapide mouvement de circulation. Vers 1789, lors des voyages d’Arthur Young, le bail à ferme n’était en vigueur que dans la sixième partie du royaume, en Picardie, en Artois, en Flandre, en Normandie. Le métayage occupait tout le centre et une partie du midi de la France. L’histoire et la géographie expliquent les fortunes diverses de ces régimes de culture. Dans les provinces-frontières, où l’activité commerciale prit de bonne heure un vif élan, on connut, on goûta les avantages de la liberté. Une classe moyenne et un capital mobilier se formèrent ; le bail à ferme s’établit. Les provinces centrales au contraire, placées loin du bruit de la mer, sans relations avec les peuples voisins, s’étaient endormies d’un profond sommeil, que la royauté se gardait bien de troubler. Le paysan y était resté ignorant et pauvre, sans terre et sans argent. En présence d’intérêts si contraires, de situations si variées, que devait faire, que fit le code civil ? Il posa les règles du bail à ferme et du bail à colonage ; il laissa aux parties le soin de réduire peu à peu l’application des unes et d’étendre l’application des autres. Le temps a justifié cette sage décision. À mesure que le paysan s’enrichit, que le numéraire est plus abondant, que les débouchés se multiplient, l’exploitation libre du fermier rompt l’association du maître et du laboureur ; le bail à ferme et à courte durée devient le type moderne du contrat de louage.

Le louage nous conduit au prêt à intérêt. Louer sa terre ou louer son argent, n’est-ce pas le même contrat ? Aussi, quand le prêt à intérêt entre dans les mœurs d’une nation, le bail à ferme l’y suit. La société est alors riche, industrieuse et commerçante. De même que les tenures non féodales avaient soustrait une partie des terres à la domination des principes aristocratiques, de même le prêt