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l’idolâtrie de l’homme. Il n’en était pas de même du christianisme. Les empereurs romains furent quelque temps à le découvrir, et les premières persécutions furent plutôt des concessions à la haine des Juifs ou aux fureurs de la populace que des mesures prises par l’autorité pour l’anéantissement d’une religion dont on était loin de soupçonner la puissance et de redouter le danger. M. de Broglie ne s’y est pas trompé. « La condamnation de Jésus-Christ, dit-il, fut arrachée au magistrat romain comme une concession à la paix publique, comme une mesure de police destinée à rétablir l’ordre dans une cité turbulente. » S’il en est ainsi, certains catholiques qui ne demandent à un gouvernement rien autre chose que de faire la police, de maintenir la paix publique et au besoin de rétablir l’ordre dans une cité turbulente, devront s’avouer à eux-mêmes, peut-être avec quelque confusion, qu’à la place de Pilate ils eussent fait exactement comme lui.

L’historien de l’église expose très bien les circonstances qui devaient rendre le christianisme odieux aux Romains : les rapports des chrétiens avec la race méprisée des Juifs, et surtout ce qu’il y avait dans la morale chrétienne d’antipathique à la moralité et à l’immoralité romaines ; c’était l’égalité de la femme et du mari, c’était le célibat honoré, c’était la charité envers les pauvres, dont les libéralités étaient assimilées à des vues secrètes d’intrigue et de faction ; c’était la fraternité religieuse étendue aux esclaves, c’était le droit d’association, terreur du pouvoir absolu, comme on le voit par l’exemple de Trajan, qui redoutait les compagnies d’artisans destinées à éteindre les incendies. Puis il y avait contre les chrétiens d’autres griefs plus spécieux : les chrétiens voyaient des frères dans tous les hommes, par conséquent dans les ennemis de Rome, dans les Barbares. Le cosmopolitisme de leur charité était insupportable à l’exclusivisme étroit des Romains ; tous les motifs de la haine que ceux-ci leur portaient sont énumérés et développés par M. de Broglie avec une liberté qui n’ôte rien à son horreur pour les résultats sanglans de cette haine, horreur sur laquelle il n’a pas jugé nécessaire d’insister, tant elle lui semblait naturelle. Le chrétien ardent dont on voit la conviction à chaque page de ce livre semble parfois se faire presque païen pour entrer dans les sentimens qui ont fait la persécution. Cet effort d’impartialité a dû lui être pénible. Peut-être trouvera-t-on qu’il l’a poussé bien loin quand il a écrit des phrases comme celle-ci, en parlant d’un redoublement d’atrocités sous Dioclétien et sous Galère : « La nécessité politique, à défaut du point d’honneur, eût obligé les souverains à redoubler de rigueur pour terminer la crise plus vite. Trois édits succédèrent au premier. De la dégradation on passa au bannissement, du bannissement à la