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d’Indien trouvé dans le sol à une très grande profondeur au-dessous de l’usine à gaz de la Nouvelle-Orléans, on a prouvé que les forêts superposées l’une au-dessus de l’autre dans le sol ont dû se succéder pendant 57,600 ans au moins depuis la mort du sauvage. Cette coïncidence tout imprévue ne laisse pas d’être remarquable.

Nous voilà bien loin de l’âge de cinq ou six mille ans que la théorie célèbre de M. Élie de Beaumont attribue aux deltas, et cependant le Mississipi est tellement actif que pour élever à son embouchure une île d’un kilomètre de côté et d’une profondeur moyenne de 200 mètres, il lui suffirait d’un an et de quelques jours. Si le delta n’avance en moyenne que d’une vingtaine de mètres, c’est évidemment parce que la grande masse de ses alluvions va se perdre dans le fond du golfe du Mexique. Combien d’îlots de vase les vagues n’ont-elles pas démolis pour en répandre les débris sur les côtes depuis la Balize jusqu’au cap Sable, et comment pourrait-on savoir maintenant la masse de ces alluvions emportées par le courant des Florides ? Un jour, quand on connaîtra parfaitement la superficie, la profondeur du delta, le débit moyen des eaux et des matières solides qui les saturent, les calculs actuels seront modifiés sans aucun doute. Les belles cartes de M. Franklin Bâche contribueront à nous faire obtenir ce résultat.

Il ne nous reste plus à parler que du système employé pour lutter contre les envahissemens de ce puissant fleuve, et dont nulle part mieux que dans la partie maritime de son cours on ne peut apprécier les inconvéniens. Ce système consiste en des levées d’une longueur de plusieurs centaines de kilomètres construites sur ses bords. Or, loin d’empêcher les inondations, ces levées ne servent qu’à les rendre plus imminentes. Autrefois les débordemens du fleuve étaient périodiques : l’eau de crue s’épanchait par-dessus les rives, amortissait la force du courant dans les racines entrelacées et les herbes des marécages, déposait toute la vase qu’elle tenait en suspension, et peu à peu descendait vers la mer par les bayous du delta, limpide et clarifiée. À mesure que le delta s’allongeait et que le fond du lit s’élevait, les alluvions se répartissaient à droite et à gauche sur les campagnes, exhaussaient le niveau du sol et formaient des levées naturelles bien plus solides et durables que les levées artificielles de nos jours. Le mal portait son remède avec lui, et si le fond haussait, les rives haussaient en proportion. Aujourd’hui les digues latérales empêchent l’eau des crues de se déverser dans les campagnes : toutes les alluvions restent forcément dans le courant, et ne peuvent plus se déposer qu’à l’embouchure même. Aussi le progrès du delta vers la mer s’opère-t-il plus rapidement qu’autrefois ; le lit s’élève en proportion pour régulariser