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et l’une après l’autre les passes délaissées restent stationnaires. En réalité, le progrès du delta mississipien tout entier ne doit pas être évalué à plus de 20 mètres par an ou 2 kilomètres par siècle.

Les calculs établis sur la marche du delta ne peuvent avoir de valeur absolue, puisqu’ils reposent tous sur une hypothèse inexacte, celle de la régularité parfaite des divers phénomènes pendant une longue suite de siècles. Quelques expériences, faites avec le plus grand soin dans le courant d’une cinquantaine d’années, ne nous autorisent point à conclure sur l’économie du fleuve pendant les milliers de siècles écoulés : pour cela, il faudrait aussi que le volume des eaux, la vitesse du courant, la quantité des alluvions, fuissent toujours restés les mêmes. Bien loin de là, les fleuves ont, comme tout ce qui vit, comme les arbres et les animaux, leur période d’accroissement et leur période de décadence. Il en est qui naissent : ainsi la Tornéa s’allonge graduellement à mesure que la Finlande et la Scandinavie émergent de l’Océan ; plus tard, elle recevra dans son lit les diverses rivières qui se déversent maintenant dans le golfe de Bothnie, et finira par se réunir à la Neva, à l’embouchure du golfe de Finlande. Il est aussi des fleuves, qui se meurent, les Deria de Tartarie, le Jourdain, le Desaguadero. Il en est d’autres qui ont cessé d’exister, tels que les fleuves sans eau de l’Égypte et du Sahara. Le soulèvement des montagnes, l’émergence ou la dépression des continens, leur lente précession autour du globe, semblable à la précession des équinoxes, la direction des vents, et leur capacité d’absorption pour l’humidité, créent ou détruisent les fleuves à la longue. Ainsi le Mississipi, tout en allongeant son cours par suite de l’émergence de son continent et du dépôt de ses alluvions, diminue nécessairement d’importance dans l’économie terrestre à mesure que les pics des Montagnes-Rocheuses se haussent pour arrêter aii passage les vapeurs de l’Océan-Pacifique. Il nous est donc impossible aujourd’hui de savoir d’une manière exacte l’ancienneté du delta. Cependant les calculs établis sur l’âge minimum des alluvions fluviales sont relativement très utiles : ils nous font assister aux conquêtes graduelles de la terre sur l’Océan ; ils pourront nous guider plus tard à de plus vastes calculs sur l’âge de toutes les couches sédimentaires ; mais surtout ils agrandissent notre horizon. Bien au-delà des siècles bibliques, ils nous montrent ces mêmes flots jaunâtres saturés de la même argile, tamisant leurs îlots et rejetant leurs troncs d’arbres sur le bord du même golfe ; ils nous font assister à la vie du globe alors que, suivant la tradition juive, la terre était encore informe et vide. Pour computer l’âge minimum du delta et de la plaine qui s’étend depuis l’embouchure de l’Ohio jusqu’à la mer, le géologue Lyell a pris la seule méthode convenable : il a évalué la masse probable des dépôts, d’alluvions