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le vent, la marée, le courant, peuvent les entraîner de plus en plus vers la terre. En même temps le mouvement de la quille soulève et livre au courant les particules les plus ténues de la vase, tandis que le gros sable reste et finit par se cimenter autour de la carène. Souvent il est impossible de renflouer les navires échoués ; il ne reste plus qu’à les dégager de leurs cargaisons et à dépecer leurs membrures. Le capital qui se perd chaque année dans les vases du Mississipi est très considérable.

Il y a longtemps qu’on parle d’améliorer l’embouchure du fleuve ; mais les travaux entrepris jusqu’à ce jour sont insignifians. Les états atlantiques ont toujours eu la prépondérance dans le congrès et se sont refusés à voter un budget favorable à leurs frères du Mississipi ; New-York a tenu rigueur à la Nouvelle-Orléans. D’ailleurs il n’est peut-être pas bien regrettable que les millions n’aient pas encore été votés, car les ingénieurs sont loin de s’entendre sur les travaux à faire, et les subventions du congrès n’auraient peut-être servi qu’à enrichir des spéculateurs de mauvaise foi. Pour améliorer l’embouchure du Mississipi, on s’est borné à envoyer quelques bateaux dragueurs sur la barre : c’est entreprendre la tâche de Sisyphe. On a calculé que pour enlever la vase déposée journellement par le Mississipi, il faudrait entretenir une flotte de sept cent cinquante dragueurs de la force de 500 chevaux chacun, et quand même ces 325,000 chevaux-vapeur seraient constamment à l’œuvre, il n’y aurait encore rien de fait ; seulement la vase déplacée irait à un ou deux kilomètres plus loin former une autre barre semblable à la première.

Quelques ingénieurs font une proposition qui séduit au premier abord par sa grande simplicité, mais qui n’aboutirait probablement pas au résultat attendu. Il suffirait, disent-ils, d’entretenir à la Balize quatre ou cinq bateaux à vapeur dont la seule mission serait de traverser et de retraverser la barre dans tous les sens, afin de tenir l’eau dans une constante agitation, soulever les vases déposées sur le fond et prévenir la précipitation de nouvelles boues. On a remarqué en effet qu’après le passage de plusieurs navires la barre devient momentanément plus profonde, parce que la vase soulevée autour de la quille a été entraînée dans le courant. Quand un navire reste à l’ancre au milieu des boues du fleuve, le mouvement qu’il imprime à la masse semi-liquide du fond suffit pour dissoudre peu à peu cette masse et creuser une espèce de fossé dans la barre ; c’est ainsi qu’une flûte laissée en 1724 à la Balize par la compagnie française des Indes affouilla insensiblement le fleuve jusqu’à une profondeur de 8 mètres. Il est facile de reproduire cette expérience sur une petite échelle en posant une pierre ou tout autre objet sur le sable humide de la plage ; aussitôt la vague viendra fouiller le