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des deux côtés, et les longues chevelures de mousse viennent tremper dans l’eau jaunâtre. Là commence cette remarquable péninsule d’alluvions qui sert de gaîne au fleuve et le projette au milieu du golfe. Cette gaîne a 4 ou 5 kilomètres de largeur moyenne seulement, et les cyprès du bord, au lieu de s’étendre en vastes forêts, ne forment qu’une bande étroite le long du Mississipi ; derrière cette bande se cachent les savanes marécageuses ou prairies tremblantes que l’eau boueuse du golfe découpe en bayous et en îlots.

Le sol de ces marais ou prairies tremblantes se compose presque tout entier de débris végétaux. Pendant la belle saison, quand les herbes ont été complètement desséchées par le soleil, les chasseurs y mettent le feu, et souvent l’incendie dévore le sol jusqu’à plusieurs pieds de profondeur sans laisser aucun résidu terreux. C’est un spectacle admirable qu’un feu de prairie, surtout quand par une nuit sombre on le contemple du haut d’un bateau à vapeur montant ou descendant le fleuve. Tout un côté de l’horizon semble en feu, car c’est la terre elle-même qui flambe ; la cyprière, qui déploie son épais rideau d’arbres entre le fleuve et la prairie, se détache en noir sur l’atmosphère embrasée ; le Mississipi lui-même semble rouler du métal, et des reflets plombés passent sur les vagues pesantes. Les arbres de la rive opposée à l’incendie agitent leurs bras comme de gigantesques fantômes éclairés des feux de l’enfer, et derrière ces arbres l’horizon resplendit de lueurs rouges comme la lave. De toutes parts, l’eau, le ciel et la terre semblent vomir des flammes, et l’on se croirait perdu sur une île de ténèbres au milieu d’un océan de feu.

Avec les siècles, les prairies tremblantes deviendront de magnifiques formations houillères, et déjà sur plusieurs points les mousses et les herbes qui y croissent sont changées en tourbe. Le sol se compose d’un immense entrelacement de trônes, de branches et de racines que l’eau boueuse a consolidés en faisant pénétrer ses alluvions dans leurs interstices. Les troncs d’arbres déposés en stratifications régulières sont parfaitement cimentés avec la vase, et quand M. Élie de Beaumont affirme qu’à son embouchure le Mississipi est porté sur un véritable radeau, ce savant emploie certainement une expression inexacte. Les arbres qui reparaissent parfois à la surface de l’eau après être restés longtemps engagés dans le sol ont été tout simplement déchaussés par la force du courant de la glaise qui les entoure, puis reportés plus loin dans une anse où une nouvelle boue vient les agglutiner. Cependant il existe des prairies tremblantes qui flottent en réalité à la surface des eaux ; mais ces prairies se trouvent à l’ouest, sur le bord de la mer où des lacs, à une distance assez considérable du fleuve. Ainsi, dans la région des Attakapas, située sur les bords du bayou Tèche, ancienne