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celle du Missouri, ont fait prendre à leurs produits le chemin de Montréal, Boston, New-York ; même le Tennessee et l’Arkansas cherchent à s’affranchir de la suprématie de la Nouvelle-Orléans en s’ouvrant la grande voie ferrée de Memphis à Charlestown. Il est temps que la métropole du sud se réveille de sa torpeur, car en fait de commerce les momens perdus ne se retrouvent plus. Sous peine de décadence, il faut que les Orléanais assainissent leur ville par un drainage bien entendu et des plantations d’arbres ; il faut qu’ils fassent rayonner autour de leurs entrepôts un magnifique réseau de chemins de fer pour attirer chez eux voyageurs et marchandises ; il faut qu’ils améliorent leurs rivières, leurs canaux, et tout leur vaste système de navigation intérieure ; il faut enfin qu’ils fassent disparaître la barre et que des navires calant 10 mètres puissent entrer voiles déployées dans le lit du fleuve.

La Nouvelle-Orléans doit songer aussi à se créer des débouchés directs autres que New-York et l’Europe, car le grand circuit que ses navires sont obligés de faire autour des Florides lui crée une position très désavantageuse. Les échanges avec Cuba, le Mexique, l’Amérique centrale et la Colombie semblent être tout spécialement destinés à la Nouvelle-Orléans ; son port semble le point obligé où doivent nécessairement converger tous les navires de la mer des Caraïbes. Cependant la Nouvelle-Orléans fait peu d’affaires avec le Mexique et l’île de Cuba, et n’en fait point avec la Colombie et l’Amérique centrale ; elle n’ose faire concurrence à New-York, dont la position est pourtant infiniment moins favorable. L’énergie lui manque pour devenir le trait d’union commercial entre les deux Amériques ; qu’elle ose, et comparativement New-York ne sera qu’une ville secondaire. Dans un pays comme les États-Unis, où le commerce est si mobile et si facilement influencé par les circonstances extérieures, peu de chose suffira pour faire de la Nouvelle-Orléans un des trois ou quatre grands emporiums du monde, ou pour la faire tomber dans une décadence relative.


IV

Après le premier détour du fleuve, en aval de la Nouvelle-Orléans, la ville disparaît derrière un rideau de cyprès, et bien qu’on soit encore à 180 kilomètres de la mer, on pourrait s’y croire transporté, tant le Mississipi ressemblé à un vaste canal serpentant entre deux îles maritimes ; la brise âpre et salée se fait déjà sentir, les nuages se superposent en strates régulières comme en plein Océan, et les grands oiseaux de mer volent par bandes à l’encontre du vent. Bientôt les plantations deviennent plus petites et plus clair-semées, les rives cessent d’être mises en culture, l’horizon de cyprès se resserre