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plus respectés qu’ils sont plus insolens. La plupart des meurtres sont systématiquement ignorés par la police, et cependant le nombre des emprisonnemens s’élève en moyenne de 25,000 à 30,000 par an, c’est-à-dire au sixième de la population. En défalquant de cet effroyable total les nègres condamnés pour être entrés au café ou pour s’être montrés dans la rue sans billet de passe, le nombre des condamnés est de 20,000 à 25,000, c’est-à-dire de 1 sur 8 habitans. Dans aucune ville du monde, si ce n’est peut-être à Mexico et dans la capitale de la Californie, ne déborde un pareil torrent d’iniquités. Et pour exciter tous les vices, pour enflammer toutes les cupidités, toutes les violences, plus de 2,500 bars (buvettes) offrent aux passans l’eau-de-vie et le rhum. Comment bâtir sur le mal une prospérité durable ?

Il faut chercher une autre cause de décadence pour la vaste cité dans le peu de zèle des Orléanais pour le progrès. Le beau Mississipi, large d’un kilomètre et profond de 30, 40 et 50 mètres, a semblé aux commerçans offrir des avantages si grands qu’ils n’ont point songé à ouvrir des chemins, à creuser des canaux, à rendre plus utiles les voies naturelles qui existaient déjà. Comme toujours, les privilèges offerts gratuitement par la nature sont devenus des causes d’inaction, et c’est à son noble fleuve que la Nouvelle-Orléans doit d’être en arrière de toutes les autres villes des États-Unis sous le rapport des canaux, des chemins de fer et autres voies de communication. Les seuls chemins vicinaux qui partent de la capitale de la Louisiane sont les chemins de halage, et les voies ferrées qu’on a construites dans ces derniers temps sont bien inférieures en trafic et en étendue aux autres chemins de fer des États-Unis. Deux canaux ont été creusés pour unir la ville au lac Pontchartrain, mais ils ne peuvent recevoir que des goélettes, et même jusqu’en 1855 l’un d’eux était resté complètement inutile, au commerce. Un autre canal, appelé canal de la Compagnie, parce qu’il appartient à une société d’actionnaires, est censé faire communiquer le bayou La fourche et le Mississipi ; il n’est en réalité qu’un long réservoir de plantes aquatiques.

Jusqu’à ce jour, la Nouvelle-Orléans a simplement reçu le commerce immense que lui déversait le Mississipi ; mais elle n’a fait que peu de chose pour fixer ce commerce et se rendre indispensable à tout jamais aux expéditeurs du nord. Plus habiles, les populations du haut et du moyen Mississipi se sont mis à construire des chemins de fer et des canaux pour se mettre en communication directe avec les états de l’Atlantique, en évitant les méandres du Mississipi et l’énorme détour des Florides. Le commerce est toujours à la recherche de la ligne droite : c’est en vertu de ce fait que Saint-Paul, Chicago, Saint-Louis, toute la vallée de l’Ohio, une partie de