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À une trentaine de kilomètres en amont de la Nouvelle-Orléans, le fleuve forme un large coude connu sous le nom de Bonnet-Carré ; c’est là qu’en 1850 s’ouvrit vers le lac Pontchartrain la plus terrible crevasse dont se souviennent les planteurs de la Louisiane. Dès que le courant eut fait sa trouée à travers la digue, celle-ci s’écroula sur une longueur de plus d’un kilomètre, et un nouveau Mississipi se précipita au milieu des campagnes cultivées. La profondeur du lit de la crevasse était de 3 mètres au plus, mais le courant était d’une force extrême, et le débit d’eau dépassa 3,000 mètres cubes par seconde. De pauvres chalands furent entraînés dans ce vortex et emportés dans la cyprière, où ils furent mis en pièces contre les troncs d’arbres ; un bateau à vapeur pesamment chargé fut également absorbé par le courant, et on ne put le retirer qu’à l’aide de puissans remorqueurs. La nouvelle bouche du fleuve coula pendant plus d’un mois, et pour la fermer il fallut attendre la fin de la crue. Déjà l’eau du lac Pontchartrain était devenue douce, et de vastes presqu’îles d’alluvions projetées au milieu de la plaine liquide changeaient la topographie de la Basse-Louisiane. Au milieu des campagnes, des levées de sable fin indiquent encore les bords entre lesquels coula le fleuve du Bonnet-Carré.

Maintenant que la digue est réparée, on peut à peine comprendre comment un mince rempart de 7 à 10 mètres de base peut contenir pendant les crues l’énorme masse du Mississipi. Quand un bateau à vapeur aborde, on dirait qu’il doit suffire d’un simple effort de la machine pour que le navire fende la levée et s’abîme parmi les champs de Cannes, à 4 mètres au-dessous du niveau du fleuve. Dans cette partie du cours, les crevasses et les éboulis sont plus dangereux qu’ailleurs, parce que les terrains emportés ou noyés sont des campagnes cultivées, et que le voisinage de la capitale leur donne une valeur plus considérable. Presque chaque année, le Mississipi rompt ses digues sur quelque point et détruit les plantations de ses bords. En 1856, un ouragan retint les eaux du fleuve aux environs de Bayou-Sarah, emporta les levées, et ravagea plus de cinquante habitations ; en même temps il engloutissait les îles Dernière et Gros-Caillou, situées à l’embouchure du Mississipi, et les balayait avec leurs maisons, leurs cultures et leurs habitans. Quand l’inondation menace de rompre les levées, les planteurs sont en émoi sur les deux rives ; mais dès que la crevasse s’est déclarée, ils respirent enfin : l’un d’entre eux a été ruiné pour le salut de tous[1].

  1. Souvent la Nouvelle-Orléans a couru de grands dangers ; mais on a entrepris de la mettre à l’abri par une digue élevée à travers l’isthme qui sépare le fleuve du lac de Pontchartrain, et retenant les eaux d’inondation en cas de crevasse. Aujourd’hui ce travail est probablement achevé.