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100,000 et 150,000 francs entre les prix d’achat de deux plantations, dont l’une est infestée de maringouins, et l’autre comparativement libre. Ce fléau ne laisse pas d’avoir son importance économique.

Les quadrupèdes de la Basse-Louisiane peuvent être considérés comme des immigrans venus des terres élevées, en suivant de loin le progrès des alluvions sur la vague marine. Les jaguars, les ours même, y sont très rares, si bien que lorsqu’un de ces animaux est tué à la chasse, la nouvelle en est publiée par les journaux d’un bout de l’Amérique à l’autre. Les chats-tigres, bêtes plus souples, qui se glissent facilement à travers les fourrés, et les chevreuils, qui peuvent bondir en un jour à travers quarante lieues de forêts, se sont maintenant acclimatés sur les renflemens un peu élevés de la cyprière ; mais les seuls quadrupèdes véritablement indigènes dans la Basse-Louisiane sont les sarigues et les écureuils, animaux grimpeurs par excellence.

Au-dessus de toute cette vie animale, bestiaux des savanes, écureuils des forêts, plane le carancrau (carancao, carrion-crow), oiseau qui tient à la fois du corbeau et du vautour. Il règne pour nettoyer la plaine, dévorer les morts, faire disparaître tous les débris d’animaux que l’âcreté humide du sol n’a pas déjà consumés. Tournoyant dans le ciel en vastes spirales, il saisit la terre de son regard et sonde les plus petites cavités, les clairières les plus étroites de la forêt, pour y découvrir la charogne abandonnée. Qu’un bœuf tombe dans la savane, aussitôt les carancraus accourent de tous les points de l’air, et commencent à se gorger de chair et de pus. Ivres de matières sanglantes, horribles de puanteur, ces oiseaux de mort ne peuvent s’arracher des cadavres qu’en chancelant, et vont traîner leur vol sur la cime d’un arbre ébranché d’où ils peuvent couver de l’œil les restes de leur festin.

Quel est cependant le rôle de l’homme dans cette grande région du Mississipi maritime ? Dans un pays aussi monotone de nature et d’aspect, les occupations des habitans ne peuvent offrir une bien grande variété. Quand, le planteur a visité son champ de cannes, activé le travail de ses nègres, surveillé l’embarquement de ses boucauts de sucre, que lui reste-t-il à faire, sinon à revenir sous le plaqueminier ou le pacanier de sa cour, à essuyer la sueur qui coule à larges gouttes de son front, et à se balancer dans un hamac ou sur une chaise berceuse, pour empêcher les essaims de moustiques de s’abattre sur lui ? Peu sensibles d’ordinaire à la beauté solennelle de leur pays, ne pouvant guère s’occuper d’art ou de sciences à cause de leur isolement, les planteurs n’ont d’autre ressource que la chasse, les visites de famille à famille, les repas somptueux.