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pénible de l’exercer qu’on devient aveuglément révolutionnaire, et de révolutionnaire servile.

N’allez pas conclure de la que la société européenne appartienne corps et biens au désordre. Oui, et qui l’ignore ? il y a des élémens de révolution dans le monde ; mais il ne s’ensuit pas que le monde ne doive marcher que par crises révolutionnaires. Les torts ne sont pas sans exceptions, le mal n’est pas sans limite. On est aussi trop fataliste aujourd’hui. Dès qu’un danger est aperçu, on veut qu’il se réalise ; dès qu’une possibilité apparaît, elle vaut fait, et rien ne menace qui ne paraisse inévitable. Il n’en est rien, et les événemens n’ont pas été soustraits à ce point à tout empire de la volonté de l’homme. Parce que de tristes mécomptes ont été le terme des espérances de telle ou telle nation, il ne suit pas qu’aucune nation ne doive espérer, et la France a-t-elle donc à porter ses regards si loin pour voir que l’unique alternative n’est pas de répudier l’exemple de l’Angleterre ou d’échouer comme elle, et que les institutions de l’une ne sont point partout accompagnées des malheurs de l’autre ?

La Belgique est un pays catholique, et n’a point une religion d’état soumise au pouvoir civil comme l’église épiscopale, ou des foules de sectes entièrement insubordonnées comme les dissidens britanniques. Elle n’a point une aristocratie investie héréditairement du droit de participer à la législation et au gouvernement, et dont les grandes fortunes, constituées sur une seule tête par le droit de primogéniture, soient l’appui et l’accompagnement obligé d’une prérogative politique. La constitution de la société belge est démocratique comme la nôtre ; ses mœurs offrent avec les nôtres de grandes analogies. Dans de populeuses villes, l’extrême pauvreté et l’extrême richesse sont rapprochées ; la grande industrie a réuni en de vastes ateliers, sous la loi d’un maître sans cesse acharné à triompher de la concurrence par l’économie, de grandes légions d’ouvriers, et subordonné le travail au capital, tandis qu’une liberté presque illimitée de la presse sème le pavé des villes des feuilles improvisées par les partis, et que la littérature française s’étale chez tous les libraires et couvre même la littérature nationale. Là sont donc toutes les circonstances regardées en France comme les plus favorables aux crises révolutionnaires, comme les plus propices au socialisme. Cependant aucun de ces dangers n’a jusqu’à présent atteint le gouvernement de la Belgique, et quand sur sa frontière se déployait l’incendie de 1848, le feu ne l’a point gagnée. Elle a vu paisiblement s’agiter, dans une triste et stérile convulsion, son puissant voisin ; elle a conservé ses institutions dans toute leur pureté, sa royauté dans toute son inviolabilité. Elle s’est contentée de penser que la monarchie représentative pouvait se maintenir sur