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des fonctionnaires en général, et en particulier de ceux qui sont à la nomination du gouvernement. Tant qu’une hiérarchie innombrable, animée par l’émulation de l’avancement, couvrira le pays et offrira aux ambitions subalternes des moyens de bien-être et d’importance plus faciles que les professions privées, toujours extrêmement laborieuses, nous aurons là une véritable caste sociale, qui, jouissant d’une influence toute faite et n’ayant rien à gagner à la liberté, pourra offrir à tout pouvoir usurpateur un commode instrument. Dans de telles conditions, la classe des fonctionnaires n’est plus même un élément conservateur. Trop nombreuse et trop importante pour être déplacée à l’avènement d’un nouveau pouvoir, elle redoute moins qu’elle ne devrait les révolutions. Elle les prévoit au besoin et se ménage en conséquence. Elle soutient en principe, elle justifie par son exemple cette théorie sans dignité, mais devenue nécessaire, que l’état, ayant toujours besoin d’être servi, est une maison dont le maître peut changer, non les serviteurs, et il arrive même que l’opinion publique sait quelque gré à ceux qui, sans souci des principes et du drapeau, sans respect pour leurs souvenirs et leurs promesses, se seront tenus pour exclusivement engagés à leur emploi et pour bons citoyens, s’ils sont fonctionnaires persévérons. Ils prétendront même par là mériter la reconnaissance, et qui sait ? ils l’obtiendront.

Il résulte de tout cela que si la France veut jamais posséder la liberté politique dans sa plénitude, elle devra se préoccuper des suites de la centralisation et de l’organisation de la hiérarchie tant judiciaire qu’administrative. Il faudra chercher si, parmi les affaires communes, il n’y en a pas dont la gestion puisse se passer d’uniformité, et par conséquent être abandonnées au libre arbitre des localités, à la bonne volonté des individus. Il faudra chercher comment, sans porter atteinte à l’unité de la législation, on peut donner aux citoyens plus d’expérience et de sagesse en leur donnant plus d’indépendance et de pouvoir, faire enfin contracter à la société entière la conscience de ses devoirs et de ses intérêts en la chargeant de prendre soin d’elle-même. La stabilité plus encore que la liberté est à ce prix, car tant que la vie publique ne sera qu’au centre, je ne dis pas que la liberté ne s’établira point, mais elle sera précaire comme tout le reste, et à la merci des révolutions.

À parler franc, il pourrait bien ne pas y avoir au XIXe siècle de contrat d’assurance contre les révolutions. Vous trouverez même des hommes sérieux qui n’en croient pas l’Angleterre à l’abri, et l’autre extrême, la Russie, s’occupe, dit-on, de modifier son gouvernement, et il n’est pas sûr qu’en tâchant de l’améliorer, elle le consolide. Or, si elle n’est pas en Angleterre et en Russie, la sécurité