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qu’elle a reçues, elle est encore une force réelle, et son nom est resté, ou peu s’en faut, synonyme de gouvernement. C’est donc à elle surtout qu’il faut songer, quand on pense au gouvernement de la France. C’est en elle, dans sa constitution, dans sa nature, dans son origine, qu’il faut chercher les garanties capitales de la liberté, et la dynastie dépositaire de la couronne doit être elle-même solidaire avec les institutions, ou bien, tantôt trop forte, tantôt trop faible, elle leur survivra, ce qui est le despotisme ; elle périra sans elles, ce qui peut être l’anarchie. Il faut que la royauté soit nécessaire pour être inviolable.

Comme c’est par la comparaison avec l’Angleterre qu’on cherche à disputer à la France son aptitude au système parlementaire, on érige les différences en objections, et l’on nous oppose par exemple la religion et l’aristocratie. Sur le premier point, il y a peu à dire. Comme croyance dogmatique, la religion n’est du ressort ni des législateurs, ni des publicistes. Il faut la prendre telle qu’on l’a reçue. Je conviendrai, s’y l’on m’y pousse, qu’au commencement du XVIe siècle, il aurait suffi d’une ou deux causes politiques et accidentelles de plus pour que l’église de France subît une transformation analogue à celle de l’église anglicane. On peut encore accorder que les pays protestans semblent plus propres que les autres au self govermnent. Est-ce parce qu’ils sont protestans, ou plutôt ne sont-ils pas protestans à cause de cela ? D’autres en décideront. Le protestantisme a, j’en tombe d’accord, l’avantage de pouvoir, sans se détacher de la tradition évangélique, être un christianisme national, et c’est malheureusement une faculté que la puissance ultramontaine s’efforce d’enlever au catholicisme. Nous devions à nos traditions françaises une heureuse combinaison de christianisme et de nationalité, c’était l’église gallicane. Les persécutions religieuses de la révolution ont commencé à rapprocher pour la défense commune les gallicans et les ultramontains. Depuis, la politique de la cour de Rome et les théories absolues de quelques théologiens plus politiques que religieux ont à peu près réussi à détruire l’œuvre des siècles et les traditions de la patrie, dans une matière où plus qu’ailleurs l’antiquité est tenue pour sacrée. À la chrétienne originalité qui recommandait l’église de France entre toutes les églises, on s’est efforcé de substituer l’imitation de l’Espagne et de l’Italie. On met la France à leur suite, et l’esprit de centralisation vient encore se montrer là. Tout, dit-on, doit être sacrifié à l’unité ; mais l’unité, c’est d’ordinaire la servitude. Ceux qui ont créé la théorie de cette réforme ecclésiastique, l’abbé de Lamennais par exemple, savaient bien ce qu’ils faisaient en la prêchant au monde. C’était en ce temps-là pour lui le manifeste d’une croisade