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et de tomber sous le poids de sa grandeur. Mais l’extérieur ne serait rien si l’on ne parvient à changer le fond des idées. Malheureusement cette fausse opinion de la royauté est aggravée par une circonstance qui pèse sur elle comme sur tout autre pouvoir de gouvernement parmi nous. Je veux parler de la centralisation. Nulle part peut-être le mouvement vers l’unité qui est inhérent à toute civilisation n’a été aussi irrésistible qu’en France, et, sous ce rapport, notre révolution n’a fait que régulariser et, consacrer ce qu’avait préparé et même opéré notre histoire. Une immensité d’attributions diverses est venue s’accumuler dans les mains du pouvoir central, et l’habitude s’est établie de tout attendre et de tout craindre de lui, d’en tout solliciter, d’en tout exiger. C’est encore là, suivant les temps, une cause soit d’usurpation, soit de révolte. Pas moins que l’esprit d’absolutisme, l’esprit révolutionnaire en a profité. La centralisation écrite par la loi pourrait être aisément rayée par une loi différente ; mais la coutume, mais le préjugé de la centralisation ne se laisseront pas aussi facilement effacer. Les gouvernemens les plus divers ont respecté, même exploité ce moyen de domination, tour à tour si commode et si pesant, et c’est là sans contredit un obstacle à l’établissement durable d’une réelle liberté politique.

Il y a un intime rapport entre la royauté et la centralisation. L’abus de l’une ressemble parfaitement à l’exagération de l’autre, et de cette source double, — unique peut-être, — peuvent découler des conséquences qui semblent opposées, la servilité et le socialisme. J’entends par servilité non-seulement cet esprit de courtisanerie adulatrice qui a de tout temps abaissé tant de caractères, mais une disposition qui semble plus excusable, ce goût subalterne pour la protection, résultat de l’habitude d’une longue tutelle, cette incapacité de répondre de soi-même, d’attendre de ses propres forces et de ses propres soins son bien-être, sa réputation, son influence. Le mot de servilité n’est pas trop fort, car c’est parce qu’elle dispense l’esclave de songer à lui, parce qu’elle lui propose un patron qui veille pour lui à sa vie et à sa santé, qui le loge, le nourrit et l’habille, que la condition servile a été défendue par ses apologistes, et quelquefois est devenue chère à l’humanité dégradée. Il n’est pas de partisan de l’esclavage des noirs qui n’ait dit qu’ils étaient plus heureux que s’ils étaient libres. On raisonne d’une manière analogue lorsqu’on représente aux sujets d’un roi absolu combien ils sont plus tranquilles que les citoyens d’un pays libre. Il arrive aux peuples trop gouvernés quelque chose de ce que nous voyons arriver aux industries accoutumées au régime protectioniste : il leur a été accordé et elles-mêmes elles ne l’ont sollicité dans le principe que comme un secours nécessaire à leur enfance. Elle est dès longtemps