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à l’inventive industrie de l’homme, et que les frontières qu’il semble tracer entre les contrées ne sont pas toujours infranchissables. Les causes physiques agissent pourtant avec une constance bien autrement apparente que les causes morales, et il semble que leurs effets soient soumis à la loi d’une mécanique inflexible ; mais l’homme vient, il regarde, il compare, il convoite, il tente, et l’inflexibilité disparaît. L’art de sa volonté et quelquefois de son caprice crée mille exceptions à ces règles permanentes, et ce qu’il fait dans un monde qui n’est pas le sien, il ne le pourrait faire dans son propre domaine, dans la sphère où il règne, sur le sol où sa liberté, ouvrant ses rameaux, se développe et fructifie ! L’expérience dépose du contraire. Comme les couvres de la nature, il transporte les siennes d’une latitude à l’autre, il fait des choses toutes différentes dans la même région et les mêmes choses dans les deux mondes. Et depuis quand les peuples ne seraient-ils régis que par des idées nées dans leur sein ? Ne vient-elle pas de l’Orient, cette religion sainte qui, débordant l’occident de l’Europe, va jusque par-delà l’Atlantique ? Les montagnes de l’Ecosse et les steppes de la Norvège ont reçu les dogmes annoncés aux bords de la mer de Tibériade. Rome a planté la législation née dans son forum sur des terres d’où ses armes ont disparu. La sagesse de ses préteurs, compilée sur les côtes du Bosphore, est venue régler le droit des familles de l’Allemagne et des Gaules. Que dis-je ? en tout genre, le génie de l’antiquité est devenu l’inspiration du monde. Quelquefois il a triomphé du génie national jusqu’à en effacer les traces. Roi cosmopolite, il dicte les lois du goût à Upsal comme à Salamanque, Aberdeen et Pavie admirent la poésie et l’éloquence de la Grèce comme Paris et Iéna, et les vainqueurs germains des races celtiques ou des conquérans italiotes en sont venus à penser ce que pensaient deux mille ans par avance, dans l’Attique ou l’Ionie, les descendans transformés des mêmes races qui triomphèrent des tribus natives de l’Hindostan. Plus on prolongerait le dénombrement, plus il nous montrerait l’humanité recevant de la tradition voyageuse ses croyances, ses idées, ses talens et ses lois, et l’imitation, mère des arts, enfantant en tout lieu les transformations les plus diverses des sociétés les plus parfaites.

L’homme est l’être le plus souple de la création. Non-seulement sa nature se prête à tous les changemens de climat, de régime et de vie, mais ces changemens, sa volonté les cherche ou les provoque. Tantôt il les affronte pour remplir un devoir ou contenter une fantaisie ; tantôt il les réalise à dessein, et oppose son initiative à la fatalité de la nature. Il diversifie artificiellement les habitudes de son organisation, ses travaux, ses goûts, ses besoins, et jusqu’au