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Ceux qui la combattent, cette opinion, ne sauraient au moins disconvenir que pendant deux générations elle a été celle des hommes les plus considérables du monde politique. Elle a pour elle l’autorité de Necker et de Mirabeau, de Mounier et de Talleyrand ; elle a Chateaubriand et Constant, de Serre et Lainé, Royer-Collard et Casimir Périer, tant d’autres, et je ne parle pas des vivans. On ne citerait pas un écrivain de quelque célébrité qui ait soutenu une autre doctrine, car il ne faut pas nommer les Maistre et les Bonald : ceux-là défendaient l’ancien régime, et d’un aveu unanime l’ancien régime n’est plus en question ; mais plus puissante encore que la voix des grands orateurs et des grands écrivains s’élève celle de la nation, cette voix qui a retenti si longtemps, écoutée de tous les peuples du monde, cette voix qui n’a jamais été libre qu’elle n’ait proclamé que la liberté politique était au premier rang des idées de 1780.

Or la liberté politique dans nos temps modernes, on ne lui connaît que deux formes, la monarchie représentative et la république. Si quelqu’un en connaît une troisième, qu’il la nomme. Il n’est pas probable que ceux qui contestent la possibilité d’emprunter quelque chose à la constitution de l’Angleterre conseillent le recours à la république. C’est alors pour le coup que les traditions seraient comptées pour rien. Reste donc la monarchie représentative. Or s’il est vrai qu’elle ne puisse nulle part être importée, parce qu’elle est d’origine anglaise, s’il est vrai qu’elle ne puisse vivre que là où son existence est plus que séculaire, tout espoir de liberté politique est interdit à l’Europe entière, excepté à la Hollande et à la Suisse, qui ont la république dans leur passé, ou bien il faut inventer quelque chose de nouveau, cette troisième forme encore à trouver. A. l’œuvre donc, les chercheurs d’or de la politique ; que l’imagination et la logique combinent encore une fois leurs laborieux efforts pour produire le secret d’un avenir inconnu ! Téméraire qui s’appuie sur l’expérience et l’exemple ; sage qui n’a confiance qu’à l’utopie !

Si ce n’était pas assez d’adversaires raisonnables comme M. Menche de Loisne et ceux qui pensent comme lui, il serait loisible en effet de s’en donner ici de plus hasardeux et d’aller provoquer ces sectes opiniâtres qui continuent de chercher d’ingénieux moyens pour se débarrasser de la liberté pratique, et qui, traitant d’idées bourgeoises les idées libérales, rêvent pour la société la même liberté que Spinoza réservait à l’âme humaine, celle qui consiste à être une partie d’un tout déterminé par lui-même. Le socialisme n’est en effet que le spinozisme transporté dans la politique.

Mais nous ne discutons qu’avec les sages, et à ceux-là nous disons : Il s’agit de savoir laquelle, sur les ruines déjà vieilles de la