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Résolue ! pourtant la France l’a cru longtemps, et, grâce à Dieu, une bonne part de l’Europe est encore dans la même croyance ; mais enfin, il faut bien l’avouer, le doute est rentré dans quelques esprits. Non que je fasse l’honneur d’attribuer au doute la conversion trop opportune de certains publicistes qui ont découvert qu’ils avaient fait fausse route vingt ou trente ans de leur vie, en professant des opinions conformes aux principes du gouvernement qu’ils servaient. Ce sont gens qui se trompent toujours si à propos, que l’on peut toujours les soupçonner d’une erreur actuelle qu’ils reconnaîtront quand il le faudra : libres esprits qui pensent comme ils veulent, et dont la prudence n’est jamais endormie ou s’éveille à temps. Cependant, de quelque source qu’elle vienne, l’incrédulité a succédé, pour certaines gens, à la foi générale dans cette idée assez simple que la révolution française avait été entreprise pour la liberté et l’égalité, et que, ailleurs même qu’en France, l’esprit du XIXe siècle tendait vers ce double but. Ainsi ce qui était certain est devenu incertain. Notre Europe et notre temps sont soupçonnés d’avoir poursuivi des chimères, et il se pourrait qu’il eût raison cet excellent monarque qui disait aux Hongrois il y a quelque trente ans : Totus mundus stultisat . Ces pensées assez tristes nous venaient à la lecture d’un ouvrage, digne d’être lu d’ailleurs, intitulé France et Angleterre. Au milieu de beaucoup d’écrits tendant aux mêmes conclusions, nous distinguons celui-là, parce qu’il est sérieux et raisonnable, et que l’auteur y parle d’un sujet qu’il connaît en bons termes et avec modération. Ce qu’il dit de l’Angleterre est juste en général ; et il y a du vrai dans ce qu’il dit de la France. On devine au reste quelle est l’idée fondamentale de son livre. C’est la vieille idée de Sieyès : « la révolution de 1789 est une révolution sociale ; » et étant sociale, il en conclut apparemment qu’elle n’a pas besoin ou qu’elle n’est pas capable d’être politique. Comme elle a visé et abouti à l’égalité, elle n’a point à faire de la liberté, et comme la société qu’elle a trouvée et modifiée ne ressemble pas à la société anglaise, l’une étant égalitaire, l’autre aristocratique, le gouvernement de celle-ci ne peut convenir au gouvernement de celle-là ; ce que l’auteur prouve de la seule manière dont on le puisse prouver, en disant beaucoup de mal de la France, à laquelle il n’accorde à peu près que d’être une nation artiste. Or, comme de l’avis des meilleurs juges en cette matière elle ne l’est guère, il s’ensuivrait qu’elle n’est pas grand’chose.

Je n’en crois rien, et cependant je tiens grand compte du raisonnement de l’auteur. Il ne dit presque rien qui ne mérite considération ; mais il nous accordera, et ceci n’est pas une critique,