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Le drapeau de l’insurrection était levé. Par malheur apparaissaient aussitôt les baïonnettes des gendarmes. Le secret avait été livré à la police par quelques-uns des conjurés, et le marquis Delcarretto suivait le complot déjà depuis quelque temps. C’est ainsi que les gendarmes arrivaient au rendez-vous aussitôt que les insurgés, et que tout finissait avant d’avoir commencé. Cette conspiration, qui sous des dehors bizarres et presque ridicules cachait un fond peut-être assez sérieux, eut le dénoûment de toutes les conspirations. Près de trois cents insurgés avaient été arrêtés. Quelques-uns étaient condamnés à mort, d’autres aux galères. Quant à frère Ange, qui avait réussi à échapper aux premières poursuites, et qui avait été surpris plus tard, caché dans son couvent, il disparut encore une fois après sa condamnation, et depuis plus on n’entendit parler de lui.

Un des plus extraordinaires, un des plus touchans épisodes de ces luttes était cette triste échauffourée de 1844, où allaient périr les frères Bandiera : épisode curieux, dis-je, qui montre tout à la fois ce que le fanatisme des sectes peut faire d’esprits généreux dans un pays livré au trouble moral, et dans quelle mesure le mouvement des états napolitains se lie aux agitations du reste de l’Italie. Cette tentative d’insurrection des Calabres en 1844 était en quelque sorte la dernière et sanglante ondulation d’un mouvement qui était l’œuvre de la Jeune-Italie, qui devait embrasser une grande partie de la péninsule, et qui n’aboutissait qu’à jeter quelques victimes de plus sur un rivage napolitain. Avec un art consommé doublé par le secret, M. Mazzini a toujours su organiser ces tentatives, poussant la Romagne au combat en lui promettant un soulèvement à Naples, cherchant à entraîner les Calabres par le mirage d’une explosion dans les États-Romains, et entretenant une agitation qui s’est dénouée de temps à autre par quelque tragédie comme celle de Cosenza.

Deux jeunes gens, Vénitiens d’origine, d’une naissance illustre, fils d’un amiral au service de l’Autriche, officiers eux-mêmes dans la marine impériale, Attilio et Emilio Bandiera, allaient le 16 juin 1844 tenter la fortune des révolutions dans les Calabres. Comment étaient-ils arrivés là ? Ils avaient subi cette fatalité connue de beaucoup d’Italiens qui, ne pouvant avoir une Italie raisonnable, ont voulu une Italie chimérique. « Je me persuadai, disait Attilio, que le seul moyen pour réussir à émanciper l’Italie consistait forcément dans les ténébreuses menées des conspirations. » — « Nous voulions une patrie libre, unie, républicaine, » disait à son tour Emilio, et c’est ainsi que l’un et l’autre entraient dans la Jeune-Italie. Après avoir quitté le vaisseau autrichien où ils servaient et s’être réfugiés à Corfou, ils cédaient à l’impatience de l’action. Ils avaient eu d’abord