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Lorsque les princes échangeaient leur titre de rois des Deux-Siciles et prenaient le nom de rois « du royaume des Deux-Siciles, » ce n’était en apparence qu’un mot nouveau, et ce mot était une révolution dans les rapports de la Sicile avec Naples ; il voulait dire que la Sicile n’était plus qu’une province des états napolitains, au lieu de rester un royaume indépendant rattaché à la couronne. De là le ressentiment de l’esprit sicilien irrité et enflammé par les procédés de l’absolutisme de Naples. Ferdinand II, en montant au trône, faisait luire quelques espérances, on l’a vu ; il parlait avec douceur à la Sicile, et lui promettait « de guérir les plaies faites par son aïeul et son père ; » il lui envoyait comme lieutenant royal son frère, le comte de Syracuse. Ces dispositions premières se changeaient bientôt en violentes défiances qui allaient jusqu’au soupçon d’une intelligence secrète entre le prince et les Siciliens dans une pensée d’indépendance. Le comte de Syracuse était rappelé, l’action directe du gouvernement royal se faisait plus vivement sentir, et ces ombrages d’une population de deux millions d’hommes attachée à ses traditions finissaient par devenir une incompatibilité violente entre les deux pays, entre la Sicile et Naples. Tout ce qui venait de Sicile à Naples était vu avec inquiétude, et en Sicile tout ce qui venait de Naples excitait l’animosité. On alla un jour, dans le fanatisme de la crédulité et de la haine, jusqu’à accuser le gouvernement d’avoir envoyé le choléra à Palerme, et cette étrange accusation a même trouvé place dans un document officiel pendant la révolution de 1848. Ainsi dans cette Italie, si divisée et si morcelée dans sa vie morale, se développait comme une variété curieuse et plus originale que toutes les autres de cet esprit d’indépendance, d’autonomie locale, toujours si puissant ; c’est ce qu’on a appelé le sicilianisme, et ce sentiment ne vivait pas dans une seule classe, il avait de l’écho dans le peuple et dans l’aristocratie, dans la bourgeoisie et dans le clergé lui-même. Un écrivain sicilien, Raffaello Busacca, le disait. « Aujourd’hui il n’y a point certainement une contrée en Italie où ce sentiment de personnalité politique soit plus universel et plus véhément qu’en Sicile. Parmi deux millions d’habitans, vous en trouverez difficilement un qui ne le partage pas. Le sentiment nouveau est celui de la nationalité italienne. Celui-ci a fait des progrès, mais ne nous trompons pas : le sentiment de la nationalité particulière, loin de s’évanouir avec le développement des idées politiques, n’a fait que s’accroître, et si au mot d’Italie le peuple répond : Italie ! au mot de Sicile il sent son énergie éclater dans un élan irrésistible… » L’influence des sectes ou des idées italiennes se mêlait peu en effet à ce travail d’opposition de l’esprit sicilien ; c’était un mouvement tout local ou national, indépendant