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des plus malheureuses victimes de la politique napolitaine, Charles Poerio, pouvait dire, dans un mémoire adressé à lord Palmerston avant 1848, que « la réaction, devenue gouvernement, s’était organisée comme une secte, et avait démonté toute la machine sociale. » C’est ainsi qu’à travers tout se dégage un régime dont l’essence était une autocratie indéfinie, dont les moyens d’action étaient un mélange d’influences religieuses, de force militaire et de procédés de police, et dont le but a été pour ainsi dire l’extirpation du libéralisme comme pensée de réforme politique aussi bien que comme secte et comme ferment de révolution.

Ferdinand II avait une des qualités ou un des défauts et dans tous les cas un des caractères des souverains absolus. En compensation de la vie morale et politique, absente ou comprimée, il se préoccupait volontiers et sincèrement de la prospérité matérielle du pays. Construire des ponts, élever des monumens, dessécher les marais de Brindes, entreprendre la transformation du lac de Fucino, assainir les plaines de Pesto, développer le système des monti frumentari, ces monts-de-piété pour les céréales, ces caisses de réserve agricole destinées à subvenir aux besoins des cultivateurs, c’étaient là des œuvres qui attiraient sa minutieuse sollicitude. Dans sa pensée, il répondait à tout s’il pouvait montrer un pays à l’extérieur florissant, payant proportionnellement moins d’impôts que les autres pays de l’Europe, et il souriait à son orgueil de pouvoir donner la bonne tenue de son crédit, l’élévation des fonds napolitains, comme la mesure de l’habileté de son administration, de la popularité de son gouvernement et de sa sécurité. Il y aurait beaucoup à dire. Ferdinand II avait, je n’en disconviens pas, le goût de la prospérité matérielle pour son pays. Ce roi singulier avait pourtant par momens une économie politique un peu primitive. Il eût aimé un progrès matériel pour ainsi dire sur place, sans mouvement, par des moyens tout locaux, surtout dans des conditions telles que cet accroissement de bien-être n’eût aucun lien avec la politique, et ne pût être le commencement d’autres besoins et d’autres désirs.

C’était un prince d’un autre siècle à beaucoup d’égards, non de ce siècle-ci. Il signait des traités de commerce presque libéraux, et il en affaiblissait souvent les effets par des mesures puérilement arbitraires. Lorsque la passion des chemins de fer s’empara de l’Europe, il n’était pas sans défiance ; la vélocité de ce système de voies nouvelles et les relations multipliées qui en résultent lui paraissaient venir singulièrement en aide à la propagation des idées dangereuses, assez contagieuses d’elles-mêmes. C’était ouvrir son royaume. Aussi les chemins de fer se sont-ils peu développés à Naples. Ils ont été jusqu’ici un luxe royal, un agrément, non un moyen de commerce.