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« Mon peuple n’a pas besoin de penser ; je me charge de son bien-être et de sa dignité, » disait Ferdinand dans cette lettre qu’il écrivait dès le premier jour à Louis-Philippe, et en effet, dans l’esprit du roi de Naples, l’idéal du gouvernement était un prince condensant en quelque sorte la vie de son peuple, lui mesurant la pensée et le bien-être, la morale et le plaisir, se chargeant de tout et intervenant partout. Ferdinand II voulait être seul maître, il croyait l’être, et il l’était réellement en un certain sens. Il y a cependant une logique des choses qui dégage incessamment les conséquences étranges de ces systèmes qui semblent si simples. Quand l’omnipotence est au sommet, il se forme inévitablement autour de ce pouvoir d’un seul et à tous les degrés une hiérarchie de petits despotismes, plus inintelligens à mesure qu’ils s’abaissent, plus violens à mesure qu’ils sont moins surveillés, faisant entrer leurs passions et leurs cupidités dans le gouvernement, et multipliant les actes dont le prince est responsable sans y être intéressé, souvent en les réprouvant, quelquefois même sans les connaître. Le règne de Ferdinand II a été de nos jours un des plus curieux modèles de cet enchaînement de despotismes organisés, de cette autocratie à une seule tête et à mille bras, avec un prince supérieur à beaucoup d’égards à son gouvernement. Le prince avait l’intégrité des mœurs privées, et la licence régnait autour de lui. Ferdinand avait une certaine antipathie contre les dilapidations et les vénalités ; il ne pouvait cependant les empêcher, et, ne pouvant les empêcher, il laissait la plaie grandir, il en riait même quelquefois, et de ses instincts relativement honnêtes il se faisait un titre de supériorité morale aux yeux du peuple et des gouvernemens étrangers. En prétendant rester seul maître, il ne pouvait éviter qu’il ne s’élevât une foule d’influences ajoutant leurs petits despotismes au despotisme d’un seul, et le dernier mot de ce système a été la création d’un état fondé sur un artifice violent, l’altération permanente des conditions essentielles de la société par la substitution de tous les caprices discrétionnaires aux lois et aux garanties d’un régime régulier. Lorsque M. Gladstone, il y a quelques années, jetait un jour inattendu sur quelques-uns des mystères de ce régime du royaume des Deux-Siciles, ce qu’il y avait de grave dans ces divulgations, ce n’était pas un abus exceptionnel, un emportement passager de réaction qu’on peut retrouver en tout temps et en tous les pays ; le fait supérieur et caractéristique était l’invasion systématique et universelle de l’arbitraire dans les lois, et ici je touche au nœud même des affaires napolitaines, à ce vice radical qui se résume dans une contradiction perpétuelle entre l’état légal apparent du pays et les procédés de gouvernement.