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lointaine et trompeuse apparence : c’était un absolutisme plus fortement constitué que sous les rois précédens et retrempé en quelque sorte par un prince de mœurs pures, actif, tempérant, économe, plus tenace qu’éclairé. Le gouvernement même de Ferdinand II était un mélange de rouages compliqués et multipliés pour aboutir à un résultat des plus simples. Il y avait autour du roi une consulte composée d’anciens ministres, d’anciens magistrats, d’anciens directeurs d’administrations, un conseil d’état, un ministère, des conférences ministérielles ; mais ces rouages se combinaient de façon à ce que le prince eût des serviteurs, non des conseils, et à ce que tout portât la marque unique et exclusive de la volonté royale. Lorsque des influences parurent s’élever dans le cabinet, le roi créa des ministres sans portefeuille pour les neutraliser, en multipliant les ambitions et les rivalités personnelles. En un mot, Naples a offert pendant près de trente ans le spectacle d’une autocratie réelle, et Ferdinand II lui-même fut vraiment un autocrate d’une étrange nature, populaire par certains côtés, plein du sentiment de son omnipotence, sérieux avec bizarrerie, et descendant jusqu’aux plus minutieuses puérilités du pouvoir.

Rien ne lui échappait, et surtout il mettait son empreinte personnelle. Il conduisait la politique, et en même temps il rédigeait de sa main des règlemens de spectacle. Chaste de mœurs au milieu d’une cour licencieuse, il rendait des décrets pour allonger la jupe des danseuses et pour imposer aux femmes de théâtre des maillots verts d’une couleur moins propre à exciter l’imagination et les sens. Il faisait jeter un voile sur les nudités de l’art dans les musées et interdisait sévèrement au public la vue de certains monumens de Pompéi et d’Herculanum. Pieux jusqu’à la superstition, il donnait un jour à saint Ignace de Loyola le grade de maréchal de camp dans son armée, et même les appointemens, qui étaient touchés par la compagnie de Jésus. Ferdinand II gouvernait son royaume comme sa maison et par des procédés singuliers. Pour lui, le trésor était une propriété royale ; les impôts étaient le tribut dû par le pays à la couronne. Il avait fini par former la liste civile avec les excédans de recettes de toutes les caisses, ce qui faisait que les employés, pour mériter la faveur et pour se donner à leur tour plus de liberté, grossissaient de leur mieux ces excédans au détriment des services publics. Lorsque, après le second mariage, la postérité du souverain commençait à devenir nombreuse, le roi décréta que pour rendre grâces à la Providence et pour associer la nation aux joies de la fécondité royale, il serait institué à la naissance de chaque prince un majorat dont les produits accumulés serviraient à former la dotation future du nouveau-né.