Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/502

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une nombreuse et forte opposition, de faire des concessions libérales, d’entrer vis-à-vis de ses sujets dans une de ces capitulations auxquelles est souvent réduit le despotisme aux abois, mais qui, imposées par la nécessité, perdent le mérite de la spontanéité et de la bonne grâce. Au dehors, il ne rencontrait que des ennemis heureux de ses échecs, comme les Russes ; des alliés, comme les Anglais, qui l’avaient prévenu dès le principe que dans aucun cas ils n’épouseraient sa querelle italienne, et qui tout récemment, dans un discours que lord John Russell prononçait à la veille de prendre le ministère des affaires étrangères, lui faisaient entendre qu’il devait perdre non-seulement la Lombardie, mais la Vénétie ; des confédérés enfin, comme la Prusse, qui, pour salaire d’un secours incertain et en tout cas bien lent, demandaient que l’Autriche abdiquât sa suprématie en Allemagne et leur cédât l’hégémonie au sein de la confédération. Vaincue en Italie, où elle allait subir un assaut formidable et suprême, menacée de dissolution à l’intérieur, ne trouvant auprès des grandes puissances que malveillance, indifférence, ou l’illusion d’un concours à la fois intéressé et inefficace, l’Autriche en détresse ne pouvait qu’accueillir avec reconnaissance les ouvertures pacifiques de l’empereur des Français.

Certes, si la guerre entre deux grands états n’était qu’un duel à outrance, d’où la pensée politique dût être absente, cet ensemble de circonstances, qui mettait l’Autriche à l’extrémité, eût été pour la France une tentation bien séduisante de pousser à bout son triomphe et d’accabler l’ennemi ; mais cette barbarie portée dans la guerre n’est point de notre époque. Dans d’autres temps, lorsque la maison d’Autriche aspirait à la monarchie universelle, il eût été peu sage de prendre garde de lui porter des coups trop violens ; mais l’empire autrichien du xixe siècle n’a aucune ressemblance avec l’empire de Charles-Quint. L’Autriche actuelle est bien plutôt un état organisé pour la défensive qu’une puissance offensive. La dissolution de l’Autriche produirait sur les bords du Danube un gouffre qui ne serait comblé que par des ruines incalculables. L’Europe et par conséquent la France ont besoin qu’un grand état dans cette partie du continent puisse faire contrepoids à la Russie. Il importe également à la France que le dualisme germanique, représenté par la Prusse et l’Autriche, se maintienne. Dans une guerre contre l’Autriche soutenue à propos de l’Italie, nous devions donc éviter de dépasser notre objet ; il ne fallait pas être trop victorieux, de peur d’affaiblir à notre détriment l’euipire autrichien là où il est appelé à exercer pour le repos de l’Europe un rôle utile et préservateur. Nous avons insisté à plusieurs reprises depuis six mois sur ces considérations, et nous ne voyons pas pourquoi nous chercherions à les dissimuler au moment où la politique de l’empereur vient les sanctionner avec une remarquable opportunité.

Ce ne sont pas d’ailleurs les seules qui puissent servir à expliquer la paix modérée qui a été offerte à l’Autriche. La guerre, comme toute entreprise violente, a cet inconvénient de produire un tel ébranlement dans les esprits et dans les choses, qu’elle soulève une multitude de questions et d’incidens qui, si on les laisse se développer, nuisent à l’objet primitif que l’on avait eu en vue, le traversent par d’intempestives diversions et l’obscurcissent par