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rions amis fidèles, tant qu’ils se montreraient eux-mêmes loyaux dans l’exécution du traité. Maheono, s’approchant alors de M. François de Paule, lui demanda s’il devait, la nuit suivante, envoyer sa femme à M. Laferrière ; le missionnaire prit sur lui de répondre sans traduction préalable que telle n’était pas la coutume des Français, et la physionomie du chef rayonna soudain de satisfaction[1].

Après la conclusion de la paix, les canaques conservèrent un reste de défiance et de crainte. Pour mettre fin à leurs appréhensions, le Bucéphale fit une tournée dans toutes les baies importantes du groupe sud-est, en reprenant les relations avec les formes amicales du passé. Cette visite produisit un excellent effet, et les naturels se montrèrent peu à peu à l’établissement. Quelques-uns même, au bout de trois ou quatre mois, demandèrent et obtinrent la faculté de vivre dans nos vallées sous l’autorité directe du gouverneur; mais le nombre de ceux-ci fut très restreint, et la population entière se fixa sur Appetony et Hanatéténa.

Vers la fin de 1843, la Reine-Blanche revint à Vaïtahu. Dès nos premiers pas sur la petite rampe qui mène du rivage à l’établissement français, nous vîmes au creux du vallon, dans une enceinte de pierres sèches, sous l’ombre des mers, des fougères et des palma-christi, quelques tertres funéraires marqués d’une croix. Au centre de cet asile, qu’embaument les senteurs du gardénia, un cocotier nain jaillit en gerbes, arrondit presque au niveau du sol ses rameaux ombelles, et jette des arches de verdure sur la blanche maçonnerie de deux tombes jumelles entourées d’un grillage. C’est là que reposent de l’éternel sommeil M. Halley, gouverneur de Vaïtahu, et M. Lafon de Ladebat, lieutenant de vaisseau. Ce ne fut pas sans un profonde émotion que nous nous arrêtâmes devant les tombes de nos amis : cette vue évoquait en nous le souvenir d’entretiens tout radieux de rêves d’avenir et de tendres espérances, dont un pressentiment sinistre, le seul, hélas! qui dût se réaliser, arrêtait toujours l’imprudent essor. Ces modestes tombes, quelques cases détruites et la vallée déserte, tels étaient les seuls résultats visibles de la guerre que nous avons racontée.

L’établissement s’était augmenté de fortifications et de travaux divers. Il était protégé du côté de la montagne par des blockhaus

  1. Maheono était loin de partager l’indifférence de ses compatriotes en matière de droits conjugaux. Un jour, pendant un koïka où il assistait avec sa femme, il lança à l’improviste son casse-tête contre un canaque; celui-ci poussa un cri et resta immobile : pourtant il avait le bras cassé. Nul n’avait compris le motif de cet acte de férocité, et en effet il fallait les secrètes lumières d’un instinct jaloux pour deviner que le canaque, perdu parmi ses compagnons, avait, sans une parole, sans un geste offensant, dirigé vers la femme de Maheono un regard de passion et de convoitise.