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paravant, pour nous rendre à l’autel tapu. L’aile droite devait, sous le commandement de M. Cugnet, capitaine d’infanterie de marine, tenir les mornes du versant de gauche, tandis que la troisième colonne, sous les ordres de M. Halley, marcherait vers la montagne par le ravin même aussitôt que les ailes auraient commencé à éclairer la route. Dès que l’ordre fut donné, la colonne de M. de Ladebat se mit en marche. Après un quart d’heure, la colonne gagna un endroit où le sentier descend, et traverse, entre les arbres à pain, les ihis et les casuarinas, un terrain un peu plus large, limité à droite par un ruisseau qu’ombrage une végétation active. Cette partie basse peut avoir trois cents pas. Au point où elle se termine brusquement, l’eau cesse aussi de se montrer. Le sentier reprend alors son ascension, se tord au flanc du versant de droite, et devient assez étroit et assez rapide pour que deux hommes n’y puissent passer de front. La colonne, placée sur une file, s’avançait entre un talus de 60 degrés, couvert d’arbustes, et un fossé naturel où des roseaux montraient leur cime. Elle atteignit ainsi un pli de terrain derrière lequel un saut de loup transversal force le sentier à faire un coude. En ce lieu s’élèvent deux ou trois cocotiers, dont l’un occupe à peu près l’angle externe du coude formé par la route. M. de Ladebat, qui marchait en tête de ses hommes, déboucha brusquement à trente pas du fossé, et put apercevoir sur l’autre bord les ouvrages canaques, qui se composaient d’un petit mur en pierres sèches, où l’on avait ménagé des meurtrières, et, flanquant ce premier obstacle, un second mur qui pouvait le prolonger de son feu. Tout près derrière apparaissaient une case et une sorte de hangar portés sur des échasses et entourés d’arbres.

Dès que parut l’officier, une voix forte sortit du retranchement et jeta ce mot bref : tapu. M. de Ladebat, qui peut-être se vit menacé, épaula son fusil de chasse et fit feu des deux coups. Les canaques ripostèrent aussitôt, et, frappé de deux balles à la tête, M. de Ladebat roula sur le sol. Cinq matelots furent aussi atteints. L’étroit sentier ne permettait pas de se présenter plusieurs de front. Dans cette situation critique, une partie de la colonne fit un mouvement rétrograde, tandis que, mieux avisés, quelques hommes entraient dans les buissons pour échanger le feu avec les canaques des retranchemens, qui se montraient le moins possible et tiraient par les ouvertures du parapet. M. Halley suivait à petite distance avec sa colonne. Prévenu de la façon désastreuse dont le feu s’était engagé, il s’élança au pas de course vers le point où M. de Ladebat était tombé. Il arriva au fatal tournant sans que rien eût changé de face. S’abritant du cocotier qui se dresse à l’angle du sentier, il étudia sous les balles et reconnut la position de l’ennemi; mais au moment où