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Taheïaoco demeurait impassible; Te-Moana se tenait à vingt pas. Indifférent en apparence, il fauchait les feuilles à coups de houssine. Aux premières ouvertures relatives à l’objet de notre visite, Taheïaoco, parlant avec volubilité, déclara d’abord qu’elle avait de son plein gré fui le domicile conjugal pour n’y plus rentrer. Pourtant, vaincue par les instances de l’amiral, elle allait consentir à nous suivre, quand un magnifique indigène, son complice probablement, debout près d’elle, lui dit à l’oreille une phrase qui réduisit à néant la dialectique un instant triomphante. La disposition d’humeur de la jeune femme s’exaltant au reste de plus en plus, on comprit que l’heure était mauvaise, et que de nouvelles tentatives seraient repoussées; nous la quittâmes donc pour aller visiter un chef malade, appelé Tumé, qui n’avait pu venir à nous. Ce chef était cloué sur sa natte et geignait sous l’aiguillon d’un rhumatisme aigu. Deux ou trois jeunes femmes, les mains ruisselantes d’huile, lui frictionnaient une jambe, tandis que, placée à son chevet, une prêtresse, dont rien ne signalait la qualité, murmurait les formules du hiko, incantation destinée à faire sortir, nous dit-on, un mauvais dieu logé dans le membre malade. En quittant Tumé, nous trouvâmes à sa porte Taheïaoco, qui nous avait suivis. On la moralisa de nouveau, on lui fit des présens; tout fut inutile : elle persistait dans sa résolution. Par quels méfaits Te-Moana avait-il encouru cette tenace antipathie? Nul ne le saurait dire. Taheïaoco refusait d’ailleurs d’articuler ses griefs. De guerre lasse, nous allions nous remettre en route, quand à son tour M. François de Paule prit à partie l’épouse rebelle; l’onctueuse homélie du missionnaire fit merveille, et l’enfant volontaire revint cette fois au sentiment du devoir. Te-Moana, jusque-là muet comme un poisson, se rapprochant alors, ratifia sans doute les avances faites en son nom. Ses paroles furent entendues de l’assemblée, qui spontanément jeta un cri à réveiller les morts. Nous crûmes qu’on s’opposait à la réconciliation; au contraire on y applaudissait. Ce hourra était le refrain d’une sorte d’épithalame qu’on entonna aussitôt, et l’épouse marchant la première par le sentier, le mari venant ensuite, puis nous, puis la foule, on se remit en marche, comme une noce de village, tandis qu’une bande de gnomes à la face effrontée, goguenarde, aux allures frisant l’irrévérence, faisait pleuvoir des fleurs jaunes d’hibiscus et des rameaux verts sur l’époux, tout fier d’être rentré en grâce.

L’heureuse issue de cette négociation pittoresque pouvait nous être avantageuse, si Te-Moana avait eu l’influence qu’on lui supposait alors, si, comme Iotété à Tahuata, le chef nukahivien eût personnifié le pouvoir. Non-seulement la réunion des deux époux con-