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tillerie. Le chiffre des garnisons respectives de Vaïtahu et de Taiohaë s’éleva, par suite de ces divers arrivages, à environ deux cents hommes. Un navire devait en outre stationner sur chacune des rades, pour prêter au besoin son appui à nos établissemens; on se crut ainsi en mesure de parer aux éventualités de la situation, et l’amiral jugea désormais inutile de garder en otage le fils de Iotété.

Les naturels, accourus les premiers jours pour assister à nos travaux, ne semblèrent pas s’y intéresser; ils se firent bientôt de plus en plus rares, et s’en éloignèrent enfin complètement. Parfois néanmoins des canaques étrangers à la baie arrivaient au fort, mais ils se contentaient de mesurer la longueur de nos magasins, puis ils s’en retournaient satisfaits. A n’en pas douter, ils prenaient en pitié des gens qui se donnent tant de peine et, dépensent un temps si long pour se loger, lorsque le bois et les feuilles qu’ils ont sous la main suffisent à bâtir partout et en quelques heures une habitation solide et spacieuse. Cependant Te-Moana était dévoré par un souci. Les Taïoas ne semblaient guère songer à exécuter la principale clause du traité conclu à bord de la Reine-Blanche. Le canot qui les avait reconduits était revenu de la baie d’Acauï avec un présent assez considérable de porcs, de poules et de légumes pour les Français; mais il n’avait pas été question de l’épouse du chef, et quelque Pâris tatoué s’obstinait à garder Hélène. Pour distraire son impatience et son chagrin, Te-Moana, chaque soir, s’enivrait de namou, de conserve avec son oncle Nichïtu, après s’être évertué le matin à crever, en courant à fond de train autour de la baie, un petit étalon du Chili venu sur le Jules-César avec deux jumens pleines et quelques ânes destinés au transport de l’eau. Le débarquement de ces animaux n’avait pas été un médiocre événement à Taiohaë. La population, effarouchée par les hennissemens et les cabrioles dont ils saluèrent la terre ferme, s’était enfuie d’abord en poussant des cris de terreur; mais elle se familiarisa vite avec ces hôtes d’un nouveau genre, et à toute heure on pouvait voir au loin Te-Moana vêtu de rouge et cramponné à sa monture comme un singe du Cirque, se livrant autour de la baie à une équitation insensée.

Un jour, il se rendit à bord de la frégate, et se plaignit du peu d’empressement des Taïoas à lui rendre sa femme, en dépit de la convention acceptée. « J’ai changé de nom avec le commandant du fort, ajoutait-il en son patois, ma femme est la sienne; on la retient à Acauï, Collet a donc aussi part à l’affront qui m’est fait. » Bien que le commandant Collet ne revendiquât point une si généreuse solidarité, la prétention du chef était juste, et son raisonnement, au point de vue indigène, ne manquait pas de logique. Il fut écouté. Cependant, pour M. François de Paule, la bonne foi des Taïoas n’é-