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Toago et Hanabaha; ces baies ne sont, à vrai dire, que les bouches évasées de ravins qui aboutissent au rivage. On y débarque sur des galets, et l’on ne saurait y faire trente pas sans rencontrer une gorge étroite, véritable lit de torrent qu’il faut gravir sur un terrain tourmenté. Au cœur du jour, il y fait sombre, tant la végétation s’y montre active. L’arbre perce le roc, ses racines étreignent la pierre, fuient en tous sens, disparaissent et se montrent plus loin comme des couleuvres impuissantes à se cacher. Si l’on regarde derrière soi, on voit briller par les trouées du feuillage la mer qu’embrase un soleil dévorant. Dans une de ces étroites gorges, nous rencontrâmes quelques cases échelonnées. Deux hommes en étaient sortis, s’étaient approchés avec des démonstrations amicales et nous avaient conduits vers un charmant bocage où se trouvaient réunies quelques femmes d’aspect assez fantastique. Toutes étaient vertes comme le collier de feuilles qu’elles avaient au col. Je n’ai pas besoin de dire que leurs poses et les draperies de leurs manteaux blancs ou jaunes qui laissaient voir une épaule ronde, un sein correct et solide, un bras délicat, une main fine, pouvaient prendre place sur une toile sans coûter à un peintre les moindres frais d’imagination. Je ne me suis jamais imaginé les napées sous une autre forme. Nous les mîmes en joie en leur distribuant des verroteries, des colliers et des pendans d’oreilles. Quelqu’un leur ayant demandé les motifs de leur étrange teinture, elles nous apprirent que l’action de l’huile de coco mélangée de jus d’herbe était puissante sur la peau pour la blanchir et la rendre douce. Désirant figurer avec avantage au prochain koîka[1], elles se livraient depuis huit jours à de constantes lotions de ce mélange.

Ces divers points de la côte sud n’offrent au reste aucun intérêt: ils sont rarement fréquentés. Quelques navigateurs, entre autres Roquefeuille, ont pourtant pu s’y procurer une certaine provision de bois de santal. Nous sortîmes du canal; notre canot longea toute la partie méridionale d’Hivaoa, et nous remontâmes la côte ouest, qui se dresse comme un mur sombre, dont la hauteur varie entre dix et trente mètres. Les hauts sommets du centre de l’île se perdent dans les nuages, et l’on voit au flanc fauve des collines ondoyer des cascades comme un ruban lamé d’argent. Bientôt nous nous présentâmes à l’entrée d’une baie séparée en deux anses par un promontoire élevé, à l’extrémité duquel se dresse encore comme un phare une tour ronde à deux étages formée par la nature : celle de gauche, où nous débarquâmes, s’appelle Hanamanu. Un grand nombre d’hommes et de femmes nous attendaient sur le rivage et

  1. On nomme ainsi les fêtes du pays.