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la renversant alors sur une petite touffe de bourre de coco parfaitement sèche, il se mit à souffler avec précaution sur la poussière incandescente, et la bourre qui la contenait prit feu presque aussitôt.

Après un quart d’heure de halte, nous nous remîmes en marche, et je ne saurais dire avec quel intérêt nous remarquâmes chemin faisant différens arbrisseaux dont les graines exportées avaient souvent réjoui notre enfance. Les cosses de l’abrus precatorius éclataient au soleil, et laissaient pleuvoir sur le sol par milliers leurs pois écarlates. Nous allions respirant avec une singulière avidité tantôt les acres parfums, tantôt les balsamiques effluves qui sortaient humides et tièdes de ces fourrés immobiles et chauffes par le soleil de midi; nous allions sains de corps, tranquilles d’esprit, nous livrant avec un complet abandon au charme de ces heures de jeunesse, de liberté, d’insouciante fantaisie, à tous les curieux hasards et à toutes les surprises de cette promenade sur un terrain vierge peut-être de l’empreinte d’une chaussure civilisée, et des fruits jaunes étincelant comme des limons dans le feuillage sombre nous mettaient aux lèvres la mélancolique apostrophe de Mignon à Wilhelm :

Connais-tu la contrée où dans le noir feuillage
Brille comme un fruit d’or le fruit du citronnier?

Cependant le sentier s’effaçait peu à peu; bientôt il disparut à la lisière d’un fourré de bambous. Il nous fallut pour continuer notre route pénétrer à droite dans ce petit fourré, où nous nous frayâmes un passage. Nous allions à la file, nous garant de notre mieux des branches élastiques qui venaient nous cingler le visage en se refermant derrière celui qui nous précédait. Nous marchions tantôt sur les détritus de feuilles mortes, de branches sèches, qui craquaient sous nos pas, tantôt les genoux perdus dans une herbe haute, jaunâtre et revêche. Après un quart d’heure de ce désagréable exercice, nous vînmes tout à coup nous heurter contre une véritable muraille basaltique, qui, haute de 30 mètres environ, marquait la limite de la vallée. Pour la franchir en cet endroit, il eût fallu des ailes. Notre guide craignit de s’être trompé dans son appréciation des lieux. incertain s’il devait chercher l’autel tapu en longeant la gauche ou la droite de l’obstacle, il se rappela sans doute le conte du Petit-Poucet, et se décida pour s’orienter à grimper sur un arbre. Grâce à cet expédient, nous nous trouvâmes bientôt en face du lieu tapu qui occupait une anfractuosité de la montagne.

Au premier plan se dressait un petit mur de pierres volcaniques sans liaison. Il formait un réduit où la végétation se livrait en toute liberté aux plus extravagantes fantaisies. Rien n’est à la fois char-