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fante, semblable à celle d’une étuve, avait remplacé l’ardente et sèche température des jours précédens, et nous rendait semblables à des alcarazas emperlés de rosée. A dix heures, l’état-major de la frégate descendit à terre en grande tenue; il avait été précédé d’une garde de soixante hommes armés et de la musique militaire, destinés à rendre les honneurs au drapeau national, quand pour la première fois il serait arboré sur la terre des Marquises. Nous nous dirigeâmes vers le mât de pavillon qu’on avait eu soin de dresser la veille au milieu de l’anse. Une centaine d’indigènes, parmi lesquels les femmes étaient en grande majorité, attendaient, accroupis sous les arbres voisins, l’événement dont ils avaient depuis deux jours suivi les préparatifs avec curiosité, étonnement et inquiétude. De temps à autre, une exclamation causée par la vue de nos brillans uniformes et de nos armes surgissait des différens groupes, du reste assez silencieux. Les marins, armés, rangés en bon ordre et de fière mine, semblaient surtout accaparer les sympathies du beau sexe canaque. Œillades provocantes, pantomimes significatives allaient en vain à leur adresse; elles se heurtaient à des visages de pierre, dont les yeux, ce jour-là pénétrés des principes de l’école du soldat, regardaient fixes à la distance de quinze pas. Iotété portait dans cette circonstance le costume qui lui avait été donné par les Français, costume dont les diverses parties formaient entre elles le plus bizarre désaccord. C’était un habit du temps de Louis XV, en peluche rouge, galonné sur toutes les coutures et chargé d’une massive paire d’épaulettes. Un diadème en carton doré, enjolivé de verroteries, ombragé de plumes peintes, couvrait sa tête et faisait ressortir sa face bleue. Un pantalon blanc et une chemise complétaient cet accoutrement, à l’extravagance duquel ajoutait encore l’obésité du chef. Près de lui se trouvait son neveu Maheono. Ce dernier pouvait avoir de vingt-cinq à trente ans. La disposition de son tatouage, dont les bandes horizontales lui couvraient le nez et la bouche, sa chevelure noire et frisée, qui, contrairement aux habitudes du pays, s’éparpillait en désordre autour de sa tête, donnaient à sa physionomie, naturellement expressive, un certain caractère de fierté et d’audace. Il était vêtu d’un habit rouge et d’un pantalon bleu de ciel ; quant aux fils du roi, ils portaient tous une chemise de matelot en étoffe de laine. Les femmes, généralement enveloppées d’une longue draperie blanche, ne se distinguaient entre elles que par l’originalité de leur coiffure et par la nature de leurs ornemens. C’étaient des bourrelets d’étoffe de tapa teinte en jaune, des couronnes de coquilles et d’écaille de tortue mi-partie blanche et noire, des diadèmes en plumes surmontés de barbes blanches, reliques précieuses de leurs aïeux. Plusieurs avaient