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même sentiment de tristesse; il est âpre et sévère, sans grandeur ni majesté. La montagne infranchissable dont la crête désolée se découpe sur le ciel traverse l’île comme une colonne vertébrale, en suivant son plus grand diamètre, c’est-à-dire de la pointe nord à la pointe sud. La végétation, d’une couleur monotone, semble le squelette de cette puissante et glorieuse végétation du Brésil et des Antilles, et si les arbres et les arbustes sont nombreux et variés, ils forment plus de halliers que de futaies. Au reste, quand on parcourt ce pays sillonné de gorges étroites et rapides, quand on a compris qu’une mince couche de terre couvre à peine le sol dans la majeure partie de l’île, cette végétation, que l’on dirait tombée du ciel sur un sol maudit, peut vraiment sembler magnifique. L’anse de Vaïtahu présentait alors un tableau qui n’était pas dénué d’intérêt. Les cocotiers géans, les arbres à pain, les pandanus et les hibiscus qui croissent pêle-mêle à l’entrée des deux vallées de Vaïtahu et d’Anamiaï, abritaient un grand nombre de cases dont la pittoresque construction offre de charmans motifs au crayon du paysagiste. Ces cases ne varient entre elles que par les dimensions et le fini de la main-d’œuvre. On les bâtit sur une plate-forme carrée ou rectangulaire, précaution indispensable dans un pays où des pluies diluviennes roulent en torrens des montagnes et pénètrent le sol d’une humidité fatale. Sur ce soubassement, toujours formé de gros galets, on fixe quatre poteaux ou montans en bois brut qui doivent former l’arête des angles de la case. Les deux montans de la façade sont plus courts que ceux du derrière de l’habitation, afin de donner aux fermes ou pièces de bois qui les joignent une inclinaison convenable. Celles-ci reposent sur des entailles profondes pratiquées à l’extrémité des montans, et y sont maintenues par des amarrages en tresses fabriquées avec le brou filandreux qui entoure la noix de coco. Des roseaux ou des poutres en bois léger, étendus sur les fermes, supportent la couverture, qui se compose toujours de rameaux de cocotiers, dont les feuilles artistement croisées empiètent successivement par couches l’une sur l’autre et viennent déborder les faces latérales qu’elles préservent de la pluie. Des ouvertures ménagées à la partie inférieure des cloisons les plus abritées laissent un libre passage à l’air, sans détruire la douce influence de ce demi-jour si favorable au sommeil et aux rêveries du far niente, qui ont des droits imprescriptibles en semblable pays. La porte d’entrée est basse et d’un accès gênant, le sol intérieur s’élevant encore entre les parois et dominant quelquefois de plus d’un mètre le niveau de la plate-forme. Ce sol est divisé en deux parties par une longue poutre qui traverse l’habitation dans sa plus grande longueur. L’une de ces parties, jonchée d’herbes odorantes recou-