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sures donnèrent leur démission. Ceux qui restèrent à leur poste furent menacés par les commerçans d’être traînés devant la justice du pays, s’ils osaient pratiquer la moindre saisie. La législature du Massachusetts, tout en recommandant à ses concitoyens le calme et la soumission, s’associa à leurs protestations. Dans tous les états de la Nouvelle-Angleterre, les fédéralistes retrouvèrent comme par enchantement leur vieille influence. Le bruit se répandit bientôt sourdement que, tentée par ce retour de popularité, la coterie anglomane surnommée la junte d’Essex, dont John Adams avait secoué le joug à la fin de son administration, complotait la formation d’une confédération septentrionale sous le protectorat de la Grande-Bretagne. John Quincy Adams, le fils de l’ancien président, qui avait pour les ultra de son parti une inimitié héréditaire, accueillit et propagea ces rumeurs avec une haineuse crédulité. Il s’était rapproché des républicains, et son nom donnait à ses assertions sur l’état intérieur du parti fédéraliste un certain poids. Il affirmait confidentiellement à ses nouveaux amis de Washington que la conspiration était sérieuse, qu’elle avait de grandes chances de succès, et que, pour la déjouer, il ne fallait rien moins que la suppression de l’embargo. Un nouveau-venu dans le congrès, M. Joseph Story, homme d’esprit qui se donnait pour républicain, mais qui, en sa qualité d’habitant du district maritime de Salem, portait peu de bienveillance à la ruineuse chimère de Jefferson, confirma, non sans malice, le témoignage de son compatriote. Le congrès fut frappé de terreur, et la majorité républicaine se débanda; ses chefs firent de vains efforts pour la rallier : elle n’entendait plus que la voix du fantôme évoqué par John Quincy Adams et par Story. Le 3 février 1809, Jefferson apprit tout à coup que les aveugles sectaires qui, treize mois auparavant, avaient à sa demande voté l’embargo d’urgence, sans examen, en séance secrète, venaient avec une égale précipitation de le sacrifier à un mouvement d’effroi. A peine remis de leur trouble, mais déjà confus de l’avoir éprouvé, les républicains se réunirent dès le surlendemain pour aviser aux moyens de réparer la honte d’une telle déroute, et ils décidèrent que le congrès reviendrait au moins partiellement sur son vote. Le régime de l’embargo ne disparut que pour être remplacé par celui du non-intercourse; les ports furent rouverts, mais tous rapports soit avec la France, soit avec la Grande-Bretagne, restèrent interdits au commerce américain.

Malgré l’empressement que la majorité mit à faire amende honorable, Jefferson ne put dissimuler le dépit que lui avait causé la marque de faiblesse et d’inconstance donnée par son parti. « Je pensais, écrivait-il le 7 février 1809 à M. Thomas Mann Randolph, je